Le lendemain eut lieu, pour la formation du corps de la bourgeoisie armée, une nouvelle réunion très importante, ainsi qu`en témoigne le procès-verbal ci-après, que nous croyons devoir publier in extenso :
Le 9 août 1789, à 6 heures du matin, la générale ayant été battue, la jeunesse s`est rendue ors d'Étoile au-devant de la principale entrée du château, s`y est formée en quatre compagnies et de suite s`est rendue chez leurs capitaines respectifs, et les ont priés de vouloir venir se mettre à leur tête et les conduire à l’église paroissiale pour y faire bénir le drapeau (*) dont la communauté fait don à la, jeunesse. Les officiers qu’ils avaient choisis, cédant à leur vœu, se sont rendus à l’endroit où ils s’étaient, en premier lieu, assemblés.
À l’instant a comparu M. Charles-François CHAIX, curé d’Étoile, qui a demandé l’assemblée des officiers. L'ordre ayant été battu, les officiers réunis, M. CHAIX leur a dit qu’il venait leur témoigner sa satisfaction sur leur patriotisme; qu’il était convaincu que l’armement qu`ils projetaient de former, n'était que pour maintenir le bon ordre dans la paroisse, et y assurer la tranquillité du citoyen; mais, qu’il lui paraissait néanmoins convenable que l’on voulut réunir dans cette association armée MM. les gentilshommes de cette paroisse, qui, dans tous les temps, avaient donné des marques non suspectes de leur patriotisme, ayant adhère à tout ce qui avait été fait et arrêté pour le bien de cette province.
Laquelle proposition, ayant été acceptée avec empressement, MM. les officiers ont, sur le champ, député les sieurs BERNARD, fils, et GUÉRIN, officier à MM. de la noblesse pour les inviter à se réunir et ii faire le service dans le corps, comme volontaires. Sur laquelle invitation, nobles : Henri-Vincent DEMAZADE, Antoine- Vincent DEMAZADZ, tous deux capitaines d’infanterie et chevaliers de l’Ordre royal militaire de Saint-Louis, Jacques DESAYMARD et Alexandre DUPONT, anciens officiers retirés, ont comparu et ont pris rang comme volontaires à la tête de la première compagnie, immédiatement après les capitaines et lieutenants.
De suite, la première compagnie a été commandée pour aller chercher le drapeau. De retour, le corps s'est mis en marche et t s'est rendu, en traversant le bourg, tambours battant, à l’église paroissiale, où s’est trouvé sur les marches du principal autel, et au-devant de la table de communion, M. CHAIX, curé, revêtu de ses habits sacerdotaux, lequel a dit :
Justícia et pax osculatœ sunt !
La justice et la paix se sont embrassées !
Pourquoi est-ce que la justice et la paix, qui devraient être des amies inséparables, ont si souvent besoin d'être réconciliées ? D’où vient que la paix, cette fille du Ciel, la source et le commencement du bonheur sur la terre ne règne pas dans le cœur de tous les hommes ? Hélas ! C’est que la justice a commencé par les abandonner. C’est donc à la justice de rechercher la paix.
0ui ! Messieurs, vous n’allez prendre ces armes que pour travailler cette réconciliation : Justícia et pax osculatœ sunt ! Pénétrés des principes de la religion, remplis des sentiments d’humanité, conduits par des chefs dont vous connaissez les vertus, ne vous attendez pas que, ministre de paix, au pied des autels, je vous anime au combat. Loin de moi une idée aussi affligeante ! Je croirais manquer aux égards qui vous sont dus, si j’osais compromettre votre bravoure. Non ! Messieurs vos armes vont être le repos de cette cite. Sous leur égide, le citoyen sera à couvert de toutes incursions. N`envisageant dans tous que vos frères, vous soutiendrez leurs droits, leurs privilèges et votre liberté.
Ce ne sont point contre des ennemis que vous avez à combattre : ce sont des perturbateurs publics que vous avez à réprimer, votre sûreté à affermir, vos biens à protéger, et la paix à maintenir. Loin de vous toute idée de trouble ! N’envisagez pas vos armes comme un moyen de défense personnelle ! Que tout sentiment de haine et de vengeance s'éteigne et cède, ici, au bien général. N’ayons donc aucun sujet d’alarme ; que dans notre sein le frère ne s’arme point contre son frère ; mais, que nous honorions en vous des protecteurs zélés ; que le repos de votre Patrie, que la sureté du citoyen soient votre unique objet !...
Armés d’après ces motifs d’humanité, qui feront a jamais votre éloge, que l`on ne voie jamais flotter cet étendard que pour annoncer la réunion de vos forces, de vos exploits et de vos cœurs. Rassembles autour de cette enseigne, rappelez-vous sans cesse que la religion la consacrée, que son ministre vous a rappelés à cette paix si nécessaire pour maintenir la concorde qui doit régner entre citoyens: Mors aut libertas, « La mort ou la liberté ! » Voila votre devise.
Que la mort est glorieuse lorsqu’elle défend la liberté ! Que la liberté est d’un grand prix, lorsque, dans elle, nous trouvons le moyen d’affermir la religion, la concorde dans la société, l’aménité dans les mœurs, la paix ou existe le trouble !
Voilà, sans doute, jeunesse d’Étoile, les motifs qui vous ont fait choisir cet exergue, motif louable, sans doute, mais qui ne doit pas vous porter à obtenir cette liberté que vous paraissez désirer, en troublant le repos de vos concitoyens. Mais vous allez mettre votre gloire à pacifier les troubles qui nous ont alarmés, vous formant à l`art militaire ; former ii vos cœurs à la vertu ; vous animer à réunir la, justice et la paix, la faire régner sur la terre, afin que vous puissiez régner un jour avec elle dans le ciel. Ainsi soit-il !
Lequel discours fini, le sieur curé a fait la cérémonie de la bénédiction du drapeau qui était présenté par M. Antoine MELLERET, père, et il célébré la sainte messe, après laquelle M. MELLERET a dit :
Messieurs, vous m’avez fait l’honneur de me choisir pour votre colonel. Ne croyez pas que l’orgueil me porte à vous exprimer les sentiments qui sont graves dans mon cœur. Ne ii vous attendez pas à un discourt fleuri : je n’ai reçu d’autre éducation que celle de la simple nature. Permettez que je vous parle avec la franchise d’un vieux soldat.
Les armes que nous venons de prendre, mes amis, sont pour la défense de la Patrie, pour notre sécurité et celle de MM. des ordres privilégiés. Pénétrons-nous de cette vérité, citoyens vertueux : versons, s`il est nécessaire, jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour une cause aussi glorieuse. Si le malheur voulait qu’il y eut quelqu’un parmi vous qui adopta d`autres principes, qu`il soit l’objet de notre indignation et mépris !
Suivons toujours les instructions vertueuses de notre digne pasteur et aumônier : le pathétique de ses discours embellirait la vertu, si cela était possible. Regardez le drapeau, qu’il vient de vous bénir : c’est le symbole de notre réunion fraternelle et le signal de notre ralliement pour le service de la Nation.
Après la réception des officiers, M. MELLERET a fait prêter serment, la main levée, à toute l’Assemblée : Jurons tous, leur a-t-il dit, sur l’autel de la Patrie, en présence de la Divinité que nous ne l`abandonnerons jamais, et que nous sacrifierons notre sang, notre vie pour notre Patrie, notre liberté, les justes prérogatives du Roy et la gloire du trône l
Lequel serment prêté, le Te Deum a été entonne et chanté avec solennité, ainsi que les prières que l’Église consacre pour le Roy. Lesquelles finies, les cris de : Vive la Nation ! Vive le Roy ! Ont été répétés avec transport. Toutes lesdites cérémonies finies, la troupe est sortie en ordre et s`est rendue sur le place ou elle s’était formée. Là, par les soins de MM. les officiers, il a été servi un repas champêtre, pendant lequel on a bu plusieurs fois à la sante de la Nation et du Roy avec la plus grande allégresse. Le repas fini, le drapeau a été conduit en ordre militaire et remis chez M. le colonel, ou il reste en dépôt, et de suite, il a été commandé une garde pour maintenir le bon ordre dans la cite, qui sera pareillement montée toutes fêtes et dimanches pour le même objet.
La joie a été si universelle, que les jeunes gens l’ont manifestée par leurs danses, qui ont duré jusqu’à huit heures du soir, où il a été lire un superbe feu d’artifice.
Ainsi s’est terminée, sans trouble et dans la plus parfaite union de tous les ordres cette journée mémorable que nous à notre postérité par le présent procès-verbal que nous avons signé à Étoile, le 10 août 1789 : MELLERET, colonel - SAYN, colonel - PPZIER, MELLERET, capitaines - ROUX – SAYN, ainé – THOMAS – ROBERT – MORIER – TERRASSE – NAVELLE – GUÉRIN – BOURNAT – SERVAT – Jean POINT – MELLERET - BERNARD – CROZIER – CHAIX, aumônier, etc…etc.
(*) Qui portait : Mort ou Liberté !