Étoile-sur-Rhône 39-45

Paul Verd, premier résistant d’Étoile

Un résistant oublié

 

Comment, après la guerre 39-45, est-on reconnu membre de la Résistance ?
Les faits ne suffisent pas, si les démarches administratives ne sont pas réalisées auprès des organismes d’anciens combattants.
En 1955, une vaste collecte d’informations est effectuée pour connaitre les actes, les personnes, liées à la Résistance et les Morts pour la France. Les maires, les enseignants sont sollicités.

Mais l’histoire est là pour rappeler ceux qui, par modestie, ou qu’ils considèrent qu’ils n’ont fait que leur devoir, ou qu’ils n’ont pas eu le temps après la guerre (décès trop tôt par exemple) de participer au grand recensement des actions et des personnes de la Résistance organisé par Commission d’Histoire de la 2ème guerre mondiale.

Ces témoignages (oraux et écrits) prouvent que Paul Verd a participé activement, peu de temps après l’armistice de 1940, à l’organisation de la Résistance en Drôme, qui le mènent, en septembre 1944, à la présidence du Comité Local de Libération d’Étoile.

Il est intéressant de suivre le parcours de Paul Verd.

Paul Henri Verd est né à Étoile le 1er septembre 1890, ses parents sont cultivateurs. Il a une sœur, Camille, 5 ans son ainée, et un frère, Émile Adrien, plus âgé de deux ans et demi.

Il travaille à la ferme familiale jusqu’à son départ pour la guerre 14-18. Dans un premier temps, il est exempté du service militaire, car de constitution chétive. Mais la guerre de 14-18 se rappelle à lui.

En 1914, il est affecté au 11ème régiment du génie. Il effectue son temps de service militaire contre l’Allemagne du 16 décembre 1915 au 24 janvier 1919, entrecoupé de période de maladie. Il est plusieurs fois hospitalisé pour bronchite chronique.
Il est démobilisé le 8 août 1919.

Rentré à Étoile, il se marie le 8 mai 1920 à Madeleine Terras, née à Saint-Laurent-du-Pape (Ardèche).

Après le décès de son grand frère (en 1922) et de son père (1927), il reprend la ferme de ses parents dont les terres sont toutes aux Josserands. Ce hameau est situé à plus de cinq kilomètres du village, quelques fermes autour de l’école.
La nationale 7 fait comme une frontière, ce qui donne à cette partie d’Étoile une certaine indépendance. Il ne manque qu’une mairie pour faire un village.

Les terres sont fertiles, grâce aux abondantes alluvions du Rhône et la possibilité d’arrosage, et d’un bon rapport, on y trouve tout ce que l’agriculture peut produire : des arbres fruitiers, de la vigne, des céréales, du maraichage et un peu d’élevage.

Paul et Madeleine n’ont pas d’enfants, peut-être que ceci donne une certaine liberté et le goût du risque. Énergique, Paul donne des coups de mains aux autres agriculteurs, il fait partie de la compagnie des pompiers volontaire d’Étoile dirigée par le capitaine Pierre Friquier, passe pour être un marginal dans ses idées : il est militant au parti socialiste et syndicaliste agricole.

Deux mouvements voulus par le gouvernement Pétain se créent à Étoile : La Légion des Combattants et les Compagnons de France.
 
Presque la totalité des anciens combattants de la commune adhère à la Légion. Même quelques-uns font du zèle en faisant adhérer leur épouse ou amis. Paul Verd se tient à l’écart.
Peu de critiques à l’encontre du maire Jules Bellier, depuis presque 50 ans. Ancien combattants 14-18 et engagé en 1939, il est trop vieux, plus de 70 ans, et personne ne lui dispute la charge d’administrer la commune.

Beaucoup de jeunes adhèrent aux Compagnons de France. Ce mouvement se réunit souvent à l’école des Josserands, à quelques pas de la ferme de Paul Verd qui voit régulièrement la levée des couleurs dans la cour de l’école.

Il ne s’oppose pas frontalement à ces deux organisations, mais use de son autorité quand il peut.
Le témoignage d’André Mantellier [1] est le plus complet. En 1942, le jeune André, âgé de 17 ans, vient travailler à la ferme de Paul Verd qu’il connaît depuis toujours car ils sont voisins. Compagnons de France depuis la fin 1940, Paul Verd n’apprécie pas du tout cette fréquentation et lui demande de se retirer. Depuis, Paul Verd lui fait confiance et l’associe à des actions de la Résistance.

Il invite son entourage à ne pas fréquenter trop étroitement deux personnages de la commune : Jean Planas et Pierre Laurent, deux étoiliens de souche, forts connus de la population.

Jean Planas est l’un des premiers à adhérer à la Légion des Combattants (ainsi que son épouse) et anime des conférences pour expliquer la « révolution Nationale », chère à Pétain.
Et Pierre Laurent, chef de bailliage des Compagnons de France, ne se gêne pas à faire connaitre ses idées politiques de « droite », proche du pouvoir en place.

Étoile-sur-Rhône 39-45Et pourtant, Paul Verd n’est pas replié sur lui-même, sa participation à la compagnie des pompiers d’Étoile, fait qu’il côtoie tout ce monde. Début août 1942, tout ce monde est réuni, au village, pour réceptionner la nouvelle pompe à incendie.

[1] André Mantellier, témoignage recueilli le 19 mars 2014 (une erreur dans l’état civil a donné le nom de Montellier à son père, corrigée quelques années après la guerre).

Dans les premières années de la guerre, peu d’étoiliens participent à des actions de Résistance.

La note de De Saint-Prix, du 8 juillet 1945, résume l’attitude de Paul Verd :
« À la fin de 1941, Paul VERD (vieux militant socialiste) travaillait avec Fernand BOUCHIER, Émile GARÇON, BLACHE (journaliste au progrès), MOULET, l’adjudant-chef CHAMBRIER, de la Cartoucherie de Valence et JULLIAN (militant syndicaliste) qui assurait la liaison.
Les réunions avaient lieu chez VINCENT (vieux radical), marchand d’outils agricoles à Valence.
Les fausses cartes d’identité étaient fabriquées à la Caisse du travail de Valence.

Fin 1942, commencement 1943, on apporte chez VERD, deux postes émetteurs, un portatif, un qui fallait déménager sur remorque. Pendant six mois, les émissions avaient lieu deux fois par semaine.
Opérateurs : X, POULAIN (chef, tué à Combovin par bombardement), et FÉLIX.

Fin 1943, a abrité BOUCHIER pendant trois mois (rentré la veille de Noël). BOUCHIER est allé au Cheylard, à Privas, à Aiguebonne.

En 1941-1942, PLANAS n’était pas dans la Résistance.
VERD a planqué une centaine de jeunes chez les paysans.
Il travaillait avec René PERRIER et André MONTELLIER, son petit domestique. »

À ce résumé, viennent s’ajouter plusieurs témoignages.

Le témoignage de son cousin Pierre Verd :
Paul Verd était tourné vers Mirmande (plus au sud d’Étoile) et avec l’aide de Charles Caillet, agriculteur et ancien maire de cette commune destitué par le gouvernement de Vichy, et René Perrier, instituteur à l’école des Josserands, il place, parfois pour quelques jours seulement, une centaine de jeunes gens. C’est par ce réseau, que Pierre Verd, se cache dans une ferme de Mirmande pour ne pas partir au STO. Pierre Verd sera maire de la commune d’Étoile de 1965 à 1977. [2]

Témoignage de son domestique André Mantellier :
André est chargé de différentes missions sans être totalement informé de ce qui se passe dans la ferme. Un jour, il conduit Henri Faye, Compagnon de France aussi, auprès de Charles Caillet, qui doit lui trouver une planque. Ils prennent le car à la Paillasse (hameau d’Étoile sur la nationale 7) jusqu’aux Reys-de-Saulce (autre hameau sur la Nationale 7) et terminent à pied jusqu’à Mirmande. Parfois se sont des faux papiers, cachés dans ses chaussettes, qu’il livre à la même personne.

André voit quelquefois des allées et venues d’inconnus à la ferme. Souvent, son patron l’envoi faire des travaux dans les champs (travail sur les arbres fruitiers) avec consignes de ne pas revenir de sitôt, il comprend qu’il est mis à l’écart et qu’il y a des choses qu’il ne doit pas savoir.

Ce qui étonne les gens du hameau des Josserands, ce sont les fréquents voyages à Valence. Il arrive que René Perrier ramène de Valence, dans sa vielle voiture, des jeunes collégiens et Paul Verd, qu’il prend place de la République.

Début 1943, deux postes émetteurs sont confiés à Paul Verd, l’un est portatif, l’autre est plus volumineux, « il faut une remorque pour le déplacer », dit-il, ainsi que les deux opérateurs, Poulain et Félix (ce sont sûrement des noms dans la Résistance) qui n’habitent pas sur place. L’émetteur portatif est caché dans la chambre d’André Mantellier, en haut, dans une vieille bâtisse éloignée de la ferme.

À la demande de Paul Verd, André ramène le matériel qui doit servir, mais les émissions radio se passent à un endroit inconnu de lui. Ou alors : « démerde-toi, il faut déménager » ! André comprend qu’il faut faire disparaître l’émetteur.

Fin 1943, il accueille dans sa ferme aux Josserands Fernand Bouchier pendant 3 mois pour le cacher. Si les repas se prennent tous ensemble, il n’y a jamais de discussion sur la Résistance. [3]

 
[2] Pierre Verd, Témoignage recueilli le 23 janvier 2012
[3] André Mantellier, Témoignage recueilli le 19 mars 2014

Le témoignage de Daniel Despesse, confirmé par des documents d’archive :
« Son père, Élie Despesse, était électricien aux chemins de fer à Portes-lès-Valence.
Un jour, ou plutôt une nuit, deux hommes tombent devant eux, descendus en parachutes.  Avec un voisin, Isidore Liotier, ils recueillirent les deux inconnus. Rapidement, ils furent cachés avec les cochons et les parachutes dans le tas de fumier. Élie habitait à la ferme de son grand-père au quartier le Chez. » [4]

Le rapport de la gendarmerie donne quelques précisions : « Le 29 août 1942, vers une heure, deux parachutistes non identifiés ont atterri sur la commune d'Étoile sur Rhône. Deux témoins n'ont prévenu la gendarmerie qu'à 7 H 30, alors que les deux parachutistes, porteurs de colis volumineux, avaient depuis longtemps disparu. Malgré les actives recherches aussitôt entreprises, ils n'ont pu être retrouvés. Les témoins ont été arrêtés, en accord avec le Parquet, pour s'être volontairement abstenus de réprimer et de signaler en temps utile une activité antinationale. »

Un document des archives de la Drôme, non signé et porte le titre « LES PARACHUTAGES », note :
« La première affaire de parachutage connue dans la Drôme, est celle d’Étoile. Rien n’était encore organisé dans la Drôme pour réceptionner les parachutistes. Le 29 août 1942, à une heure du matin, deux parachutistes atterrirent au quartier du Chiez, récupérèrent leur matériel, (valise, parachute) et disparurent dans la nuit. Deux cultivateurs, qui par hasard, avaient assisté à l’atterrissage, MM. Liotier et Despesse, ont été arrêtés par la gendarmerie de Valence, quatre à cinq jours après, longuement interrogés puis libérés. »

Les deux parachutistes ont été dirigés vers Paul Verd, c’est bien que son engagement dans la Résistance était connu, bien au-delà de la commune.

[4] Daniel Despesse, témoignage recueilli le 5 novembre 2018)

Fernand Bouchier est entré très tôt dans la résistance. Enseignant et fils d’un couple d’enseignants, secrétaire fédéral au SNI, secrétaire de la section SFIO de Valence, il est révoqué par le gouvernement de Vichy le 25 novembre 1940, il trouve un travail aux Assurances sociales (d’où la possibilité de faire des faux papiers), membre du premier conseil municipal de Valence en 1944.

Il est élu à la fin 1944, en tant que représentant du parti socialiste, président du Comité Départemental de Libération de la Drôme après la démission de Claude Alphandéry.

Émile Garçon : Dans l’article « Cérémonie d’hommage à Jean LOUBET », il est fait référence aux actions d’un groupe de résistants : Le 13 juillet 1942 au matin, avec Henri FAURE, Émile GARÇON, Pierre CHAZAL, Péraro SYLVIO et Georges CHAUVET, ils impriment et déposent avant l’aube des tracts devant des usines de Valence.

L’adjudant-chef Chambrier, cité dans la note de De Saint-Prix, s’agit-il de Roger Henri Chambrier, dit « Bagnolle », dans la Résistance, grand organisateur de la Résistance en Drôme et Ardèche.

Charles Jullian, (militant syndicaliste) qui assurait la liaison. Né le 3 août 1894 à Nîmes (Gard), mort le 20 septembre 1965 à Valence (Drôme) ; outilleur à la Cartoucherie nationale de Bourg-lès-Valence ; syndicaliste et militant socialiste, résistant. Il fut aussi responsable, avec Émile Garçon, du service des “faux papiers” pour les MUR de la Drôme.

Pierre de Saint-Prix : Résistant, Préfet de la Drôme à la Libération, du 31 août au 31 décembre 1944.

À la libération d’Étoile, Paul Verd est président du Comité de Libération d’Étoile, qui comprend 14 membres validés par le Comité Départemental de Libération en date du 8 septembre 1944 :

Paul Verd, Albert Barbe, Camille Blache, Georges Dugand, Auguste Jacouton, Édouard Mavet, Marius Paradis, René Perrier, Marcel Pons, Camille Roux, Maurice Sausse, Léon Sibert, Camille Terras, Aimé Vincent. Marius Paradis préside la commission de ravitaillement. À la réunion suivante, le 14, participe Jules Bellier Voirqui informe les sur les affaires en cours. Il conteste la légalité de la nomination du Comité de Libération d’Étoile confirmé par le préfet de la Drôme le 12 septembre, du fait qu’il n’entraine pas la dissolution de l’ancien Conseil Municipal normalement et démocratiquement élu avant la guerre.

Sans attendre, le Comité de Libération compose le prochain Conseil Municipal de 17 membres qui est proposé à l’avis du préfet : Paul Verd, Marius Paradis, Maurice Sausse, Léon Sibert, Henri Gensel, Fernand Chérion, Noël Guigon, Marius Peyrard, André Maurin, Jean Béranger, Paul Rey, Pierre Laurent, Gaston Mounier, Camille Roux, Camille Servant, Aimé Vincent. Geneviève Gerin, la seule femme proposée n’a pas été acceptée par le préfet qui, le 17 octobre, confirme le nouveau Conseil Municipal.

Paul Verd se présente aux élections municipales les 29 avril et 13 mai 1945, il est élu et repart pour un nouveau mandat de maire.
De nouvelles élections ont lieu les 19 et 26 octobre 1947, il est de nouveau élu, mais malade, il ne se présente pas pour la fonction de maire.

Lors de la première séance du nouveau Conseil Municipal, une motion est approuvée à l’unanimité « …d’amicale sympathie à M. Verd Paul, ancien maire, gravement malade et lui souhaite un prompt et complet rétablissement ».

 

Paul Henri Verd décède le 28 juillet 1953 à Étoile l’âge de 63 ans, suite à une longue maladie.

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Date de dernière mise à jour : 11/08/2024

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