L'abbé Louis Moutier

L'abbé Louis MOUTIER    

Louis MOUTIER

prêtre, félibre, linguiste et poète

 

 

Louis-Auguste MOUTIER a passé 17 ans au service des paroissiens d’Étoile, à partir du 1er octobre 1886 jusqu’à son décès le 30 octobre 1903.

Né le 15 février 1831 à Loriol (Drôme), il est de dixième enfant d’une fratrie dont trois enfants sont morts en bas âge.

Son père, modeste artisan charron est marié à Marie MITIFIOT d’Allex, commune voisine de Loriol. L’atelier est bien placé sur la rue principale et peut subvenir à sa famille.

Le père est de religion protestante, sa mère est catholique. Le mariage mixte est célébré suivant les rites catholiques à la condition que les enfants soient élevés dans cette religion. Les autorités ecclésiastiques de Loriol veillent au bon respect de cette condition.

Peu d’archives sur la famille de Louis MOUTIER, tous les garçons (ces neveux) décèdent avant qu’ils aient pu créer une famille.

Sa sœur, née avant lui, le précède dans l’engagement religieux, elle entre dans la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph situé à Saint-Vallier (Drôme) et prend le nom de sœur Eugénie.

Comme lui, elle de santé fragile et dans les échanges de lettres, les informations concernant leurs santés prennent beaucoup de place :

« … Ayons donc patience et reposons-nous bien. Suivons bien les ordonnances du médecin. Dieu fera le reste avec sa grâce.

En fait de remède,  n’oublie pas celui des Mariste. Lorsque j’étais à Saint-Vallier, il m’a semblé que tu en usais avec négligence et presque à contrecœur. Qu’est-ce que cela signifie ! De quoi as-tu peur ? C’est de l’eau parfaitement claire et sans goût désagréable. Et puis le couvent est assez riche pour payer les dépenses que tu pourrais faire dans ta maladie. Allons encore une fois, du courage et de la bonne volonté. Ce n’est pas le cas de faire des façons, ma bonne petite sœur. »

Il lui parle aussi de son voyage chez son neveu, frère Prothée (qui deviendra directeur de l’École chrétienne à Marseille), qui tient une école religieuse concurrencée par une école laïque : « c’est un bien pénible voyage que je viens de faire. C’est loin à ne plus finir, on n’arrive jamais à ce fameux Lauris. Il vaudrait mieux aller à Marseille. Au moins on y arriverait tout droit.

Lauris est à 60 kilomètres sud-est d’Avignon et à 27 au-delà de Cavaillon. Le village assez bien bâti est perché sur une hauteur dont les pieds autrefois baignés dans la Durance sont couverts aujourd’hui en terre et en jardin admirablement cultivés.

Le chemin de fer d’Avignon à Pertuis traverse la plaine et y possède une gare où l’on arrive en moins de dix minutes. C’est un pays riche par ses primeurs et ses produits agricoles expédiés aux quatre coins de la France.

Le climat est très sain et l’air très salubre. Tous ces avantages réunis devraient faire de Lauris un séjour enchanteur. He bien non ! Ce pays est loin d’être charmant. L’esprit de la population dans son ensemble est mauvais, mais mauvais jusqu’à persécuter ses prêtres, pas un homme ne va à l’église. Ils sont presque tous rouges et meurent sans se confesser.

Le curé actuel, un homme d’un grand talent, ne parviendra pas à ramener ces cœurs endurcis. C’est pire que dans une ville. À si le bon Dieu ne s’en mêle pas bientôt la position ne sera plus tenable. »

Le vicaire RENAUD de Loriol commence à lui donner les premiers enseignements religieux et l’initie à la langue latine. Louis MOUTIER entre au Petit séminaire de Valence à 21 ans, couronné par le diplôme de Bachelier ès science le 10 juillet 1853. En 1854 il entre au Grand séminaire à Romans.

Ordonné prêtre le 19 juillet 1857, il rejoint son premier poste de vicaire à Taulignan.

Le 26 novembre 1860, il est vicaire à Pierrelatte, puis curé à Pierrelongue dans la vallée de l’Ouvèze le 10 mai 1862 et à Lachamp-Condillac dans la vallée du Rhône le 1er octobre 1864 qu’il termine par un voyage d’un mois à Rome où son neveu y est déjà. Arrivé pour la fête de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1869 qui est aussi l’ouverture du 20ème Concile œcuménique (ou appelé aussi Vatican 1), il y reste un mois et passe les fêtes de Noël qui se font cette année avec une pompe exceptionnelle. À son retour il est nommé à Saint-Nazaire-en-Royans, dans la vallée de l’Isère, le 10 février 1870. Nommé curé archiprêtre à Marsanne le 20 décembre 1877 en remplacement de l’abbé CLAUDON qui est nommé à Étoile. L’abbé CLAUDON prend la direction du Grand Séminaire et Louis MOUTIER arrive à Étoile le 1er octobre 1886. Il est nommé Chanoine honoraire en 1900.

De santé fragile, remis d’une grave maladie, il rédige son testament avant de partir pour le Grand Jubilé à Rome organisé par la Pape Léon XIII : « L’an de N. S. Jésus-Christ 1900, et le 16 mai, à la veille de mon départ pour Rome où je désire aller gagner l’Indulgence du Grand Jubilé »

« Je soussigné, curé d’Étoile, saint d’esprit et de corps, ai jugé prudent de faire de ma propre main, ce testament qui contient l’expression de mes dernières volontés ».

Craignait-il de ne pouvoir le rédiger à son retour ?

Parmi les legs il y a un dictionnaire sur fiches (plus de 32 000 fiches manuscrites) des mots de Loriol, l’œuvre de sa vie, il veut qu’il soit remis à la Société d’Archéologie et de Statistique de la Drôme dont il est membre depuis 1878.

Ces affectations successives dans la Drôme, souvent dans des paroisses traversées par une rivière,  lui permettent de découvrir les différents parlés locaux.

Le Rhône lui donne envie de voyager. Il raconte dans l’un de ses poèmes sa mésaventure.

Jeune enfant, il monte dans une barque située sur la rive du Rhône avec l’envie de partir, se laisse dériver sans rame pour se diriger.

La peur le gagne, il s’évanouit, puis s’accroche à la barque comme une bouée.

C’est près d’Avignon que la barque s’échoue, Louis est toujours dedans.

Des mariniers le ramènent dans sa famille très inquiète.

 

Il publie de nombreux articles et des poèmes dans la presse locale. Il rédige en patois de Loriol des poèmes sur tout ce qui fait la vie du Rhône. Les métiers, les évènements comme les inondations de 1840, des traductions de documents anciens et des recettes de cuisine.

En 1877 la Grammaire dauphinoise et Glossaire du sous-dialecte de Loriol, est couronnée d'une médaille d'or par l'Académie Delphinale de Grenoble.

Il est à l'origine de la création en 1879, à Valence, de l'Escolo dóufinalo dóu Felibrige (*).

Il passe beaucoup de temps à se documenter, à rencontrer la population qui ne manque pas de parler et de transcrire toutes expressions sur des fiches. Il veut faire reconnaitre le patois dauphinois qui est différent du parler provençal. Il ne refuse jamais une invitation, ou parfois s’invite aux nombreuses fêtes agricoles, qui lui permettent de faire un discours en patois, il sait qu’il aura beaucoup de succès auprès des paysans qui ont gardé entre eux la langue de leurs parents. Louis MOUTIER, comme tous les prêtres de la Drôme, est encouragé par l’évêque Mgr CHATROUSSE à s’intéresser aux langages locaux pour s’opposer à la Révolution qui veut supprimer tous les patois. Il reçoit un soutien et les encouragements de l’évêque de Digne, Louis-Joseph-Marie-Ange VIGNE, natif de la Drôme, qui participe lui-même aux rassemblements des Félibres (*) et qui se dit très ami de la langue d’Oc : je vous félicite, de vos travaux littéraires… tout ce qui rattache à la terre natale mérite d’être cultivé.

Pour l’inauguration du monument à la mémoire de la première fédération qui rassembla dans la plaine d’Étoile, le 29 novembre 1789, les gardes nationales de 19 communes.

Ministre, sénateurs, députés, préfets, et autres autorités locales se retrouvent à la mairie le dimanche 8 octobre 1893 pour écouter les interventions d’accueil.

Louis MOUTIER, qui a présidé la messe très tôt le matin pour libérer la population qui prépare les festivités, accompagné par son vicaire Régis PASCALIS, est invité à prendre la parole pour une brève allocution.

Monsieur le ministre,

Le clergé d’Étoile a l’honneur de vous souhaiter la bienvenue en son nom et au nom de ses chers paroissiens. Il profite de ces circonstances mémorables pour vous offrir ses respectueux hommages et protester de son attachement au Gouvernement de la République dont vous êtes le digne représentant.

Croyez-le bien, monsieur le ministre, nous remplissons au milieu de cette population tranquille un ministère de conciliation et de paix. Notre grand désir est de la voir toujours unie dans un même sentiment de foi et de patriotisme. Nous ne cessons pas de lui prêcher l’exemple, autant que de parole, le respect de l’autorité et les devoirs de la charité chrétienne. Chaque jour, nous faisons monter vers Dieu, qui est le père des peuples, les vœux les plus ardents pour la prospérité de la France et le bonheur de ceux qui président à ses destinées.

En 1896, quelques mois avant la publication de son poème Lou Rose, il organise à Étoile une félibrée (*) dans les locaux du presbytère, fête locale avec chants, poèmes, et théâtre en langue dauphinoise. Frédéric MISTRAL participe, en ami, à cet évènement et l’encourage à publier son œuvre :

Je l’ai lue, je l’ai bu votre beau Rhône. Cela est plein, cela est riche, cela est majestueux et large comme la vallée où roulent ses flots le dieu des eaux du Midi. Et ce n’est jamais fastidieux ; il y a de tout, et tout de neuf, tout de vivant et gai. Les riverains du grand fleuve devraient se battre pour le posséder. Que font donc de leurs couronnes les membres des Académies delphinales, s’ils ne jettent pas sur le Rhône de mon ami L. MOUTIER.

Il n’oublie pas qu’il est aussi le curé d’Étoile et que l’église mérite son attention. Il entreprend, en 1901, pour ses 70 ans, la réalisation de trois vitraux Trois vitraux pour l'église d'Etoile sur la façade ouest de l’église qu’il paiera, d’après son successeur,  avec ses propres deniers.

Louis MOUTIER lègue aussi son harmonium et son aube, réalisée par sa sœur religieuse et qu’il mettait pour les grandes occasions, à l’Église d’Étoile, qui sont refusés par le Conseil de Fabrique (instance civile qui gère l’Église) : « Mr. MOUTIER est mort pauvre  et l’Église est pauvre. Il a fallu le revêtir, avant de le mettre au cercueil, de son aube qu’il comptait laisser à l’Église. Cette aube a suivi dans la tombe sa dépouille mortelle ». Quant à l’harmonium, il y a trop de réparations.

Le 30 octobre 1903, suite à un malaise, il meurt dans sa cure, accompagné par son  vicaire l’abbé Régis PASCALIS, qui lui prodigue les derniers sacrements.

Beaucoup de monde aux funérailles de louis MOUTIER le 2 novembre, jour des morts. Plus de 25 prêtres, des représentants du félibrige et de la Société d’Archéologie de la Drôme.

Mr de la BOISSE, président de la Fabrique, tenait l’un des quatre cordons du char funèbre. Il est enterré au cimetière d’Étoile.

Les 18 et 19 octobre 1997, cent ans après la publication de son poème sur le Rhône  au château des Adhémar à Montélimar, un colloque lui est consacré « Louis MOUTIER, félibre drômois, poète du Rhône, sous la direction de Jean-Claude Bouvier, professeur à l’Université de Provence ».

Son œuvre poétique est reconnue. Le poème sur le Rhône Lou Rose publié en 1896 le fait entrer définitivement parmi les grands félibres à côté de Frédéric MISTRAL.

Enfin, ce que n’a pas pu réaliser Louis MOUTIER et qui représente 10 ans de travaux, 1876-1896, faute de moyens financiers, l'Institut d'Études Occitanes-Drôme et l'université de Grenoble ont publié fin 2007 le Dictionnaire des Dialectes dauphinois anciens et modernes, de l'abbé Louis Moutier.

Dans son recueil de poésie « Lou Pouèmo dóu Rose » (Le Poème du Rhône) paru en 1897, Frédéric MISTRAL site Étoile « Estello ».

Dans le troisième chant, le poème « La desciso dou Rose » (la descente du Rhône) : La coumtesso d’Estello clarissimo (la comtesse d'Étoile très illustre)

Voir l’intégralité du recueil traduit en Français Louis MOUTIER

(*) Félibre : Personne qui contribue au maintien et au développement de la langue d’oc. Personne qui est membre d’une association félibréenne.

Félibrige : Association qui œuvre pour la sauvegarde et la promotion de la culture, la langue, des pays de langue d’oc.

Félibrée : Fête populaire dédiée à la langue d’oc

Archives départementales de la Drôme :

Abbé Adrien LOCHE, BH408 à BH414

Recensements de la population de la commune d’Étoile-sur-Rhône

Inventaire rédigé par A. LACROIX, série E

Baptêmes 1555-1586

BSAD-1897-T31 et 1904-T38

AP 55/6-Semaine religieuse de Valence

Archives du Diocèse de Valence

Archive communales d’Étoile-sur-Rhône

Bibliographie :

LAMOTHE Léopold, ÉTOILE sous la Révolution

Extraits des documents officiels, publiés sous les auspices de la Municipalité. 1891

Abel VINCENT, abbé, ÉTOILE. 1852

MARCEL Sophie, mémoire de maîtrise d’archéologie médiévale « Le prieuré Saint-Marcellin d’Étoile-sur-Rhône » Juin 1992

Louis MOUTIER, Félibre drômois, poète du Rhône, Colloque de Montélimar du 18/19 octobre 1997, Éditions d’Estudis Occitans – Drôme, Février 1999

Date de dernière mise à jour : 09/08/2023

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