Le café appartient à Marie-Jeanne Gonnet (d’Étoile) veuve de Paul depuis 1938. Marie-Jeanne ne peut à elle seule continuer le commerce, elle le met en gérance à Henri Astier. Depuis l’invasion du Sud de la France par l’armée allemande, le café est fréquemment utilisé par les troupes allemandes stationnées au château de La Paillasse réquisitionné depuis le début de l’année 1944. Pendant les alertes signalées par les sirènes, Henri Astier et sa famille rejoignent un abri situé chez des parents à un kilomètre à peine, mais depuis le débarquement de Provence et la remontée massive des troupes allemandes en direction du Nord, le café est souvent utilisé comme lieu de halte et des véhicules ennemis stationnent à proximité. Le jour du bombardement qui doit être fatal pour le café, un camion-citerne rempli de carburant est stationné devant le café. Une bombe tombe à cet endroit détruisant le bâtiment et met le camion en feu. En quelques minutes il ne reste que les quatre murs du café.
Sortant de son abri, Henri Astier voit au loin de hautes flammes et croit que c’est la gare d’Étoile qui est atteinte, se rendant sur place, il ne peut que constater le désastre, tout est parti en fumée.La guerre est finie, il faut penser à reconstruire.
La famille Gonnet fait les démarches nécessaires auprès des services départementaux de reconstruction pour reconstruire le café, mais les aides souvent promises tardent à venir. Alors, sans attendre, en 1951, elle vend la licence du café à Louis Albert, grand mutilé de guerre, qui obtient l’autorisation de construire, à côté de la ruine et en attendant la reconstruction de l’immeuble qui ne saurait tarder, un baraquement en bois qui sert pour l’habitation de sa famille et le café provisoire.
Le commerce marche bien, il est possible de jouer aux boules les dimanches après-midi et les hommes, jeunes et vieux, y passent beaucoup de temps.
La famille Albert n’a pas de chance, le 19 janvier 1954, soit deux ans après l’ouverture de leur commerce, un violent incendie transforme leur habitation en un tas de cendre. Voilà comment la presse retrace l’évènement : Vers 15h30, un feu de cheminée éclatait dans le baraquement à usage d’habitation et de café, près de la gare d’Étoile, sur la propriété des héritiers Gonnet, et exploité par M. Albert, absent pour affaire à Valence.
Le papier goudronné qui garnissait le toit fut un aliment facile. Le feu se communiqua rapidement, et tout le baraquement fut la proie des flammes.
Quelques femmes, habitantes proches du baraquement, essayèrent de sauver tout ce qui pouvait l’être, que quelques meubles sont sortis de la maison en flamme. Pendant ce temps, M. Ducros fils alertait les pompiers d’Étoile. Ils vinrent en toute hâte, sous le commandement du capitaine Friquier, mais hélas l’eau manquait. Nous vîmes alors le baraquement flamber sous nos yeux.
Du baraquement, il ne reste absolument que des mures et des planches calcinées.
Fort heureusement ce sinistre s’est déroulé en plein jour, et on ne déplore aucun accident de personnes.
Mme Albert et ses deux enfants, dont l’un de huit mois, sont sains et saufs.
M. le préfet alerté, s’est rendu aussitôt sur le lieu du sinistre, accompagné par M. Thibaud, directeur des services d’incendie. MM. Raoul Ducros et Vabre, adjoints au maire d’Étoile étaient présents.
Deux jours plus tard, la presse tente de tirer une leçon de cet évènement : Les pompiers d’Étoile, capitaine Friquier en tête font leur devoir. Toutes les bonnes volontés réunies n’y peuvent rien. Hélas, il n’y a pas d’eau ! Pas d’eau dans le puits de la maison, pas d’eau dans celui de la gare ! Les pompiers déroulent leurs tuyaux vers le canal d’arrosage où ne coule qu’un mince filet, puis chez M. Chastan, à près de 500 mètres. Pendant ce temps tout est détruit. L’eau arrive seulement pour noyer les décombres.
Derrière le tas de cendre du baraquement au premier plan il y a les ruines de l’ancien café.
Raoul Louis Adolphe DUCROS, né à Étoile en 1896, est négociant en graines, fourrage, laine…, adjoint au maire, puis maire en 1967. C’est son fils Raoul qui travaille avec son père, présent ce jour-là au silo à grains près de la gare, prévient les pompiers.
Ce bout de terrain rassemble maintenant deux ruines calcinées, il n’est plus question de recréer un café bien que la commission départementale de reconstruction annonce que les aides seront débloquées en 1954.
Peu d’étoiliens se souviennent de ce café. La famille Albert n’est pas du village et la gare voit le nombre de voyageurs diminué d’année en année. Le terrain, rapidement nettoyé, et efface toutes traces aux regards et dans les mémoires.
Et pourtant une petite anecdote : une voiture arrive sur les lieux de l’incendie et veut forcer le barrage. Le capitaine des pompiers reçoit vertement le chauffeur avant de s’apercevoir que le passager était le préfet de la Drôme.
La propriétaire, Marie-Jeanne Gonnet a, en août 1954, fait don des biens à sa fille unique Suzanne qui transmet immédiatement l’héritage à ses quatre enfants, dont le dernier Jean-Henri vient d’atteindre la majorité depuis quelques semaines.
Suzanne s’est mariée à Étoile, en 1926, avec Maurice Barbier, le jeune couple quitte la commune et va habiter en Saône-et-Loire, là où Suzanne a passé toute son enfance, élevée par un oncle qui était receveur des postes à Louhan. Elle revint à Étoile chez sa mère pour chaque naissance, les quatre enfants Barbier sont nés à Étoile.
Les enfants, qui ont peu d’attache à Étoile, mettent en vente les terrains dont celui qui porte les ruines de l’ancien café.
L’abbé Marnas a vent que des terres sont en ventes au quartier de la gare et les paysans du coin se les arrachent : une petite parcelle, coincée entre la voie ferrée et la nationale 7 pourrait faire l’affaire.
Marnas prend contact avec Jean Champel, le maçon qu’il connait bien et qui intervient chaque fois qu’il y a des travaux au presbytère, et depuis l’histoire de la cache d’armes en 1943, se sont liés d’amitié. Jean, bon vivant, toujours prêt à raconter des blagues sur ses chantiers, aimait taquiner le Père curé. Marnas appréciait d’autant son ami qu’il ne faisait jamais payer ses travaux : c’est pour mon paradis, lui lançait régulièrement Jean. Et parfois complétait : la dette s’allonge, père curé, elle devient longue, il faudra faire une quête spécialement pour moi… !
C’est dans un camion de l’entreprise Champel que le curé et le maçon rendent visite à la ruine, près de la gare. La ruine n’a pas changé depuis dix ans, les murs sont noirs, l’intérieur est plein de débris et la nature commence à reprendre ses droits.
Jean, suivi de l’abbé, fait le tour extérieur, donne quelques coups sur les murs pour sonder leur solidité, lance un regard à l’intérieur mais se garde bien d’y pénétrer. Faisant face au curé et avec des grands gestes, explique : il faudra raser le haut des murs qui ont pris un coup de chaud, le reste des murs est sein. Il y a un gros travail de déblaiement à l’intérieur et les abords sont à aplanir, et toujours avec son air malicieux : pour les travaux je sais que vous saurez mobiliser vos paroissiens ! Un même fou rire lie les deux hommes.
Marnas est satisfait du diagnostic il reste à négocier le prix, ce qui n’inquiète pas les deux hommes, car le curé a une solide réputation dans le domaine de la persuasion.