Étoile-sur-Rhône 39-45

La tentation du lapin

Témoignage de Marcel MOUNIER


Propos recueillis le 8 octobre 2014 par Michel CHAUDY

 

Marcel Édouard MOUNIER, est né le 3 avril 1921 à Étoile. Ces parents sont agriculteurs dans cette même commune.
Pendant la période 40-44, il participe aux Compagnons de France, aux chantiers de jeunesse, membre de la 4ème compagnie FFI, il est arrêté et transféré en Allemagne comme « travailleur volontaire ».

 

La tentation du lapin  

Encouragé par son père qui est à la Légion Française des Combattants, le 10 novembre 1940 il participe à la première veillée  de présentation des Compagnons de France en présence d’A. DUPLANIL, conquérant Drôme Ardèche et André NOËL, chef de baillage, cette réunion a un beau succès. Quelque temps après, le 24 novembre 1940, à l’invitation du maire Jules BELLIER, il est présent à la rencontre à 18 h à la mairie, réunion qui donne naissance la première compagnie rurale des Compagnons de France et, suivant le mouvement de ses camarades, Marcel devient membre et participe aux évènements organisés par la Compagnie.
Les réunions se font dans l’ancien hôpital que la municipalité a mis à leur disposition : « un embryon de Maison des Jeunes ».
Pour la fête de Jeanne d’Arc, il tient la bride de gauche du cheval (il est donc à droite sur la photo) lors de la fête de Jeanne d’Arc en 1941 (ou 1942) à Étoile. Le cheval blanc appartient à son père et Marcel le connait bien.

Le 11 novembre 1941, il part aux Chantiers de jeunesse à Cavaillon (Vaucluse) [N° 13 : Bonaparte]. Il se souvient surtout d’un chantier de taillage des platanes le long de la Nationale 7.
Il fait un peu moins des 8 mois prévus, il est libéré comme tous les agriculteurs pour faire les foins en juin 1942. À son retour, il ne reprend pas contact avec les Compagnons de France.
Le 6 juin 1944, il rejoint la 6e Compagnie du 2e bataillon des FFI de la Drôme au maquis de Vaunaveys-la-Rochette et connaitra les griffes de la Milice.

Le 6 juin 1944, Marcel se rend au village pour avoir des informations sur la situation, comme il le fait régulièrement parce que dans la ferme de ses parents il n’y a pas d’électricité, donc pas de radio.
Et c’est dans l’après-midi qu’il apprend le débarquement. Il sait, comme une dizaine de jeunes comme lui que c’est le moment de rejoindre Vaunaveys-la-Rochette, il est temps de prendre les armes.

Les armes, il les connait car depuis quelques semaines il se retrouve avec une dizaine de jeunes dans une salle de la mairie, en l’absence du maire Jules BELLIER, là il apprend le montage et le démontage et comment s’en servir, mais il n’a jamais tiré un coup de feu. Il est nommé caporal d’ordinaire par le docteur PLANAS capitaine de la 6e Compagnie du 2e bataillon des FFI de la Drôme, c’est-à-dire chargé du ravitaillement de la compagnie. Il a à sa disposition un camion gazogène avec un chauffeur originaire de la Somme, [René Léon BARAIZE, né le 2 janvier 1922 à Sommedieu. 2ème classe chauffeur] et un jeune, 2e classe [René MAZARD, né le 16 octobre 1924 à Montoison (Drôme), 2ème classe].
Tous les jours il descend dans la plaine et va dans les fermes d’Étoile, Montoison, Montmeyran, d’autres si nécessaire, et achète des poireaux, salades, carottes, parfois des cerises, mais en juin, il n’y a plus de pommes de terre.
Quelquefois, il a la chance de pouvoir acheter un agneau. Au début il paie avec l’argent que lui donne le capitaine PLANAS, mais ça ne dure pas, il fera des reçus. Il n’est pas bien accueilli partout, beaucoup de gens se méfient.

Le 22 juin 1944, le capitaine lui demande d’aller chercher des containers vides chez DROGUE, entre Montoison et Étoile, à 500 mètres de chez ses parents. Un jeune garçon [Antoine Hubert HUGUES, né le 10 décembre 1926 à Marseille (Bouches-du-Rhône), 2ème classe armurier], réfugié à Étoile avec sa mère et sa sœur, qui avait rejoint le maquis, lui demande en pleurnichant, de l’emmener avec lui au village pour donner des nouvelles à sa famille.

Avec beaucoup de réticences, Marcel accepte bien que ce soit contraire aux ordres. Les voilà partis de bon matin, tous les quatre, du camp de Vaunaveys-la-Rochette en direction d’Étoile. Passant à proximité de la ferme de ses parents, quartier des Queyras, entre Ambonil et Étoile, ils font une halte, c’est l’heure du petit déjeuner.
Après une petite heure ils pensent à repartir. Pas de chance, le camion refuse de démarrer. Dans une ferme, tout le monde connaît la mécanique, ils démontent le ventilateur et derrière se trouve le compresseur, la plaque du devant est sortie, les rivets ont lâché, plus de pression de gaz, c’est la panne totale.

Ils décident d’emmener la pièce au garage BÉRANGER au centre du village qui peut la réparer mais il faut attendre une heure.
Le jeune marseillais va voir sa famille, les trois compères font le tour du village et finissent au bistro pour passer le temps.

Au bout d’une heure les quatre se retrouvent au garage, récupèrent la pièce, la remontent sur le camion et ils peuvent repartir. Mais c’est l’heure du déjeuner et la mère de Marcel a préparé un lapin, une telle invitation ne se refuse pas !

C’est le moment du dessert, on frappe à la porte, et quatre miliciens, menaçants avec leurs fusils, entrent et demandent de lever les mains, tous s’exécutent sauf le père de Marcel, qui a fait la guerre de 14-18 et qui les apostrophe : « Jamais les Allemands n’ont réussi à me faire lever les mains, ce n’est pas des Français qui vont réussir ! ». Peine perdue, comme les autres il doit s’exécuter.

Les miliciens étaient bien renseignés, il y avait deux fermes proches et un voisin a bien vu leur arrivée, sans hésiter, ils se sont dirigés vers la ferme Mounier. Ils sont embarqués et immédiatement conduits dans l’école en face du Palais de justice de Valence où l’interrogatoire commence séparément. Si les trois maquisards avaient été préparés à une possible arrestation, ils ne savent rien du jeune et se demandent ce qu’il peut bien raconter aux policiers, et ce qu’il connait réellement après quelques jours passés au maquis. La première nuit est passée à l’école, menottes aux chevilles 2 à 2.

Le lendemain encore des interrogatoires puis ils sont conduits à la prison de Valence.

Un matin, vers 6 h-6 h 30, deux Allemands viennent chercher Marcel, seul, pour l’amener à l’Hôtel de Lyon (près de la gare de Valence). Après une attente qui lui paraît longue, il ressort, menotté entre deux soldats allemands suivis de 5 à 6 soldats allemands armés de fusils. Ils prennent la direction du Champ de Mars.

Pour lui, aucun doute, il vit ses derniers moments. Peu de gens dans la rue de la Gare qui va jusqu’au Champ de Mars, il croise seulement deux femmes, leurs regards se croisent, sûrement qu’elles pensent comme lui et le confortent dans ses craintes. Quoi penser ? À qui penser ? Est-ce possible ? Les battements de son cœur résonnent dans son cerveau et lui font perdre toutes possibilités de réflexions calmes dont il aurait besoin.

Arrivés au bord de la place, un quart de tour à gauche et ils pénètrent dans un hôtel. Les soldats suivants restent à l’extérieur. Marcel laisse échapper un long soupir et gravit lentement les trois étages, les jambes molles. Re-interrogatoire sur ce qu’il sait sur le maquis, il répète encore une fois qu’il est agriculteur, qu’il travaille ses chez parents, que la Milice l’a surpris au cours d’un repas, et qu’il ne connaît rien de la Résistance.

La mascarade de tout à l’heure ne le fait pas flancher. Il sort de l’hôtel, menotté et / toujours encadré par ses deux gardiens. À sa grande surprise, le peloton « d’exécution » a disparu. Ils tournent à droite, retour à l’Hôtel de Lyon.

Mais là, deux camions chargés de « mongoles » [1] et une voiture de tourisme attendent, il est hissé dans l’un des camions et le convoi démarre. Ils roulent en direction de Romans, puis Crest, franchissent le chemin qui mène à Ourches, s’arrêtent à proximité de Vaunaveys-la-Rochette et sans attendre, passent à l’attaque. Marcel ne peut voir ce qui se passe et qui est à l’origine de la fusillade. Un soldat resté avec lui dans le camion lui demande de se coucher.

L’avion mouchard tourne au-dessus du lieu des opérations. L’engagement est violent et de courte durée. De retour, les soldats, certains couverts de sang, regagnent les camions. Pour Marcel, c’est le retour à la prison, soulagé de constater qu’il est encore en vie.

Quelques va-et-vient au commissariat et à la Gestapo et on lui annonce qu’il va partir pour l’Allemagne. Le 5 juillet 1944, ils se retrouvent tous les quatre à la gare de Valence, deux policiers s’approchent du « gamin », lui mettent une main sur l’épaule, le tirent en arrière et lui annoncent qu’il ne part pas. Étonnement des trois autres prisonniers.

[1] Soldats asiatiques russes incorporés dans l’armée allemande pour servir sur le front ouest, ils sont réputés pour leur cruauté.

Ils arrivent à Paris à la caserne de la Pépinière où ils passent une nuit, puis reprennent le train jusqu’à Metz où ils sont remis entre les mains de la police allemande.
Le lendemain, direction l’Allemagne, ils arrivent à Lunebourg. Ils sont présentés au service du travail allemand. Le chauffeur du camion est envoyé chez un serrurier, et Marcel dans un service de transport dirigé par une femme.

C’est au contact d’autres Français qu’ils apprennent qu’ils sont classés « travailleurs volontaires », Marcel pense que c’est bien vu par les Allemands. Il est plutôt bien traité, sa patronne parle un peu le français qu’elle a appris en Belgique. Il peut écouter, en cachette, la radio de Londres et suit l’avancée des armées alliées. Il mange comme eux, les dimanches le repas est amélioré. Le patron est sur le front de l’est et revient de temps en temps en permission, il n’est pas toujours commode.

À plusieurs reprises, Marcel conduit son patron à des réunions qui lui semblent clandestines, ne serait-il pas de la Résistance ? Et les lourdes caisses, qui peuvent contenir des armes, pour qui sont-elles ? Il vaut mieux qu’il garde ses distances et qu’il fasse comme s’il ne savait rien, ce n’est pas le moment de se dévoiler, il ne faut pas que ses patrons sachent que lui aussi est dans la Résistance, pas du même côté.

Il y a aussi des actions de sabotage. Un matin Marcel emmène un vieux camion au garage pour contrôler la direction. Quand il reprend le camion l’après-midi, il n’y a plus de frein ! Il conduit en utilisant le frein à main. Il comprend : au garage ils étaient 5 ou 6 qui étaient contents de le voir partir, ils ne parlaient pas allemand. À son retour, il lève le capot et constate que les courroies qui entrainent le compresseur sont débranchées, il les remet en place. Il ne dit rien à sa patronne. Qui était visé ?

Pendant toute la durée de son travail en Allemagne, il n’a eu aucune nouvelle de sa famille et toutes les cartes qu’il envoie chaque semaine lui sont revenues.

À la fin de juillet 1945, il est libéré par les Anglais et les Canadiens.

Pendant toute la durée de son travail en Allemagne, il n’a eu aucune nouvelle de sa famille et toutes les cartes qu’il envoie chaque semaine lui sont revenues.

À la fin de juillet 1945, il est libéré par les Anglais et les Canadiens.

Date de dernière mise à jour : 15/11/2023

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