Nous jouons au jeu de l’Oie. Les ROUX gagnent. Jean-Jacques attrape la varicelle.
Combats du maquis incessants en Ardèche. Des incendies. Dès 4h. CATHALY nous annonce le débarquement dans le Midi. Il est confirmé le soir par la Radio. Par où passeront-ils ? Discussions sur un départ possible. Nous nous refusons à l’autostop et à la bicyclette. Il nous faudrait une occasion sûre.
Je fais des efforts répétés pour réparer la chambre à air de Françoise. Chaque fois, elle se dégonfle. Pourtant, Françoise fait des progrès. Je la lâche quelque temps. Elle fait des progrès en natation.
Jacques repart le 16 août en auto-stop.
Mercredi 16 août
Dans la nuit, une lueur au Nord. Nous nous rendons au fossé du pont avec les enfants.
La batteuse a commencé vers 6 h. Vers 8 h 30, pendant que les enfants déjeunent, un bruit d’avions, un coup très violent nous fait sursauter. On aurait cru la Poulate bombardée. Marc hurle. Maman en train de nettoyer un coffre au grenier en ressort en hâte. Nous courons au fossé du jardin. De nouveau la Voulte et le Pont de Livron (au chemin de fer) sont visés.
Jeudi 17 août
Voyage à Valence. Le Pont sur la route à Livron a été atteint par le Maquis []. Les Allemands passent dans le lit de la rivière. L’Abbé n’a pas été très éprouvé. Valence est très abîmée.
[Peu de temps après le débarquement de Provence le 15 août 1944, les armées allemandes sont contraintes de fuirent vers le nord pour éviter l’encerclement, si les armées alliées, déjà aux portes de Paris, atteignent l’Est de la France.
La vallée du Rhône est le chemin le plus rapide, mais c’est étroit.
De chaque côté du Rhône il y a une route nationale, la N85 à l’Ouest et la N7 à l’Est. Et deux voies de chemin de fer. Toutes les routes, chemins sont utilisés pour faciliter la fuite.]
Vendredi 18 août
Nouveau bombardement de Valence vers 9h.
Le Pont sur le Rhône [] est atteint sérieusement. Fin de la batteuse ce matin.
Dimanche 20
Bruits d’avions. D.C.A. Rumeurs. Le matin, le Pouzin est bombardé. Le Curé fait des sermons toujours aussi longs []. Les réfugiés de Valence sont depuis samedi soir à la Poulate. On voit que les routes sont mitraillées, que le voyage à Livron n’est pas sûr.
Lundi 21
Les nouvelles sont émouvantes. Les alliés ont traversé la Seine. Ils sont à Nantes et Rambouillet. Insurrection à Paris. Ils sont à Aix et au Pertuis. Hier la Suisse nous avait appris la prise de Vichy. Où est le Maréchal ? La fin de la Guerre serait-elle proche ? On se livre à des suppositions sur notre retour à Lyon.
Depuis 8 jours, aucun courrier. Les avions passent très bas.
Rédigé le 21 de 14 h à 16 h.
Lundi soir nous apercevons 4 avions survolant de très bas La Voulte. L’un d’eux pique et tombe. Un incendie immense se déclare. Un train saute et détonne pendant un bon moment. On ne sait si les avions étaient alliés ou allemands. Une pièce allemande tire sur les coteaux du côté de Fiancey et de Saint-Genis. L’enthousiasme décroît. Pendant la nuit, la pièce allemande tire.
Mardi 22
Une grosse pièce tire toujours. On la situe vers Saulce. L’après-midi, nous nous baignons. À 1 h 45 j’apprends la libération de Grenoble. On dit qu’Orange l’est aussi. Après le bain, de grosses détonations sur Valence. On dit que les Allemands font sauter leurs munitions. Le soir, incendies sur le coteau au Nord de Livron. Les réfugiés de Valence couchent à la maison. 3 Allemands passent près de la Poulate. Coup de feu. Je ne vais pas chez BOUIX.
Mercredi 23
J’apprends que M.B., la veille a rencontré les Allemands près de Fiancey. Fuyant devant eux, il est rejoint et arrêté. Sa fille le fait délivrer. Hier, le curé des Robins parti pour Valence est obligé à la Paillasse de donner la sépulture à 2 personnes françaises parties avec les Allemands, tuées en auto par le maquis. On les enterre dans les fossés creusés au bord de la route []. À 4Kms de Valence, il entend des rafales de mitrailleuses. La 3ème étant nettement pour lui, il s’arrête, se jette dans le fossé. Le camion qui le suivait continue à tirer en le dépassant. Il se lève, lève les bras. On le fouille. Le camion, un allemand et un mongol à l’intérieur, repart. Il doit de nouveau subir le même traitement à cause d’un groupe de cyclistes. Il revient à la Paillasse, où il réussit à conserver sa bicyclette réclamée par un Allemand. Le matin, on apprend que les Allemands sont près d’Avignon, que Romans serait libéré. C’est maintenant, une batterie américaine qui tire sur Livron. Il parait que des tanks venus de Crest tirent sur Livron.
À 13h45, à la radio Suisse, j’apprends que Paris est libéré, que Grenoble est occupée par les Américains. Le matin, on disait que Lyon était en bataille. J’apprends ces nouvelles à ces dames. Émotion. La Suisse envoie un communiqué exaltant la libération de Paris.
Américains à Sens. Déclaration de Molotov sur la conférence de paix. Peut-être démission de PÉTAIN : malentendu ? Le tir semble plus lointain, mais il continue. Il parait que c’est une pièce américaine qui tire sur la route. On dit que dix tanks américains sont venus de Crest. Envoyés par parachutes ? Bref, le tir continu le soir, on aperçoit de la terrasse un incendie sur le coteau au Nord de Livron.
Jeudi 24
La nuit est agitée, chaude, bruyante. Réveil matinal général. Le matin le tir de la pièce d’artillerie est très près. Parfois, au Nord au lieu d’être du côté du Sud. Des projectiles semblent éclater très près, sur la route de Livron à Fiancey. Nous allons chez Mmes ANTÉRION et FERRIER. On commente les nouvelles. Des Allemands ont été pris, du côté du Calabert. Jeannette n’ira pas se baigner. On dit que les Américains sont à Mondragon au-delà d’Orange. La garnison allemande de Paris se serait rendue. Qu’a fait Jean ? Le soir on apprend que Paris n’est pas libéré. Déception. On raconte que les Américains qui tirent seraient venus par la route des Alpes. On les aurait vu passer par Crest. Cela, si c’est vrai, prouve une conception stratégique remarquable. On dit les pièces américaines du côté de Saulce. Le soir toujours incendie au Nord de Livron.
Vendredi 25
Maman va la Messe. Comme elle n’est pas là, à 9 h 1/4, je vais à sa recherche. Je vois des Allemands passant sur la Route des Robins. Je reviens poser ma bicyclette, je repars à pied. Bientôt maman est là, sans aventure. Le canon tire toujours. Certains pensent que c’est une pièce allemande. C’est peu probable. Hier, nous avons assisté à des bombardements en piqué. Les avions (du maquis) en formation de 6 tournent et puis descendent pour piquer en se laissant tomber. C’est sans doute sur la route du Pouzin. L’après-midi, tirs sur l’Ardèche. Peu de nouvelles au poste suisse ce matin sur le Midi.
Intermède : Marc et Françoise jouent dans notre lit au jeu de la pluie et du tonnerre. Françoise en se baissant et en se relevant fait Ptt, Ptt, pendant que Marc tape de temps en temps du pied dans le bois du lit.
Françoise dit, d’une feuille qui tourbillonne, Oh ! Maman, regarde cette feuille qui papillonne !
En allant au bain, ils se moquent de la Lolo tortillon. Il s’agit de la petite lône en dessous de celle où nous nous baignons. Jean-Luc est pour le moment le plus chéri. Il se lève de son pot en disant. Alà (Voilà, il crie pour se mettre à table : Atta !)
Marc a émis le désir d’épouser Cendrillon. Jean-Luc fait sa prière le soir. Quand sa mère oublie, il réclame en criant Jésus, et en envoyant un baiser. C’est le plus ravi lorsqu’il y a des alertes. Il imite les avions en faisant : Boum ! Lorsque, pendant une alerte Mazine et Jeannette récitent leur Chapelet il les interrompt en faisant Boum !
Malgré la guerre, nous continuons de vivre. Pêche et bains quotidiens. Nous avons fait une neuvaine : récitation du chapelet qui s’est terminée mercredi. Nous continuons cependant.
Samedi 26
Hier soir 5 h, au moment de partir au bain, on voit une fumée s’élever du château de la Voulte. Le soir celui-ci brûle. Il y a aussi d’autres incendies en Ardèche. Chez les SIBEUD, nous assistons à des bombardements en piqué sur la route du Mirailler. On parle d’une bataille acharnée à Savasse, au Nord de Montélimar. Nous allons chez BOUIX. Les Allemands sont dans les environs. Nous écoutons PAYOT. Il y aurait des combats dans les forêts autour de Lyon (?).
Le samedi matin à 6 h 1/4 nous sommes réveillés par des bruits de canon, très proche. Les batteries situées vers Livron ont dû tirer au-dessus de nos têtes sur l’Ardèche. Nous apprenons que Paris est complétement libéré, qu’un armistice y a été conclu, mais que les Allemands avec tanks et chenillettes sont dans le chemin de la Lauze [entre Livron et Fiancey]. Cette nouvelle jette un froid. On dit aussi que les Américains ont été repoussés de Crest et on prétend que les pièces qui tiraient sans interruption ces jours-ci étaient allemandes (?).
La Voulte aurait été reprise hier par les Allemands qui auraient incendié le château. Les camions allemands seraient repartis ce matin après le tir. On entend quelques fusillades en Ardèche. On voit des hommes sur les crêtes des Cévennes. GRÉGOIRE et moi, faisant un plan de repli de la Poulate sur la ligne Calabert-les contrats. Midi, la Suisse annonce que Carpentras, Avignon, Cavaillon, Tarascon sont aux mains des alliés.
Le journal tenu jusqu’ici au jour le jour est interrompu par l’arrivée des Allemands. Il est repris après notre libération le samedi 2 septembre.
Le Samedi soir, on nous apprend que les Allemands vont installer un État-major aux Robins. On est venu chercher le Maire pour les cantonnements. Pendant la nuit, tirs d’artillerie, tantôt éloignés, tantôt proches. Jeannette entend siffler les obus. Nuit fort médiocre. On dort peu, sauf au petit matin.
Dimanche 27
Maman et moi allons à la première messe. Les Allemands sont aux Robins, chez le curé, partout. Tante et Lotte refusent de venir nous rejoindre. Au retour, nous apercevons les camions allemands qui se camouflent le long de la Véore. À 11h une voiture allemande (prise aux Américains), pénètre dans la cour, l’inspecte et repart. Nous étions assis sur le banc des GRÉGOIRE. Des tirs continuent sur la Drôme ? Un peu après plusieurs camions s’installent, se cachent sous les arbres, une voiture sous le hangar, un camion de cuisinier sous le platane, un camion atelier devant la cave, un sous le tilleul, une voiture sur le tennis. Les cuisiniers s’engouffrent dans la maison, prennent possession de la cuisine. Maman retire son gigot ; nous décidons de déjeuner aussitôt pour le sauver. Titi déjeune avec nous. L’atmosphère est à la bonne humeur.
L’après-midi, toute la ferme se replie sur le salon. Les GRÉGOIRE, les réfugiés de Valence, les CHARRIER qui avaient quitté leur maison à l’arrivée des Mongols (ceux-ci ont offert mille francs aux parents pour leur fille). Pendant ce temps, les Allemands ont installé 2 T.S.F., une dans le hangar, une autre chez GRÉGOIRE. Jeudi à minuit elles ne cesseront pas de beugler créant ainsi un état d’énervement pénible. Quelques types, un immense cuisinier assez sympathique prépare ses saucisses sur le fourneau. Sous la véranda le comptable, intellectuel à lunettes que Jeannette prend pour un séminariste. Un cuisinier à sale gueule prépare une salade de citrons et de concombres. L’auto du tennis a comme fétiche une médaille militaire et une petite pipe. Sauf les cuisiniers, ils restent dans le jardin. À 3h ils se précipitent pour entendre les Nachrichten (nouvelles). Ils ignorent les prises de Paris et Lyon. On leur a dit que les éléments américains ont été repoussés à Valence. Quand partiront-ils ? On le leur demande plusieurs fois. Certains signes semblent indiquer un départ, mais finalement, ils s’installent pour la nuit, couchés sur le trottoir. GRÉGOIRE, CHARRIER, COURNIOL couchent à la maison.
La nuit est atroce. Les tirs d’artillerie se font souvent très proches. Les enfants se réveillent en sursaut, Françoise puis Marc. Tous deux s’installent dans notre lit. Quand ils se sont endormis, je vais rejoindre Jeannette dans le lit de Françoise. Vers 3h je descends chez GRÉGOIRE. Un soldat m’arrête, puis me laisse passer. Assis sur le banc. Il pense que nous ne craignons rien de ces tirs d’artillerie destinés à Champagnac (ou plutôt au Mirailler). On s’estime préservés par la Véore. La nuit s’achève. Jeannette s’est installée dans le lit de Marc. Notons que Mazine a bien dormi.
Lundi 28
Vers 7 h. la famille GRÉGOIRE nous apprend qu’il faut quitter la Poulate. Nous sommes repérés ; nous allons être bombardés. Il faut que les femmes et les enfants quittent la Poulate. Maman et moi nous nous disputons pour rester. Il est décidé que nous nous relayerons. Nous devons partir pour le bout de la vigne. Déjeuner en vitesse. Une première caravane conduite par Mazine part. Un peu plus tard Jeannette, Gaby, la remorque, Luc et moi prenons le départ. Les avions apparaissent. Violents tirs très proches. Sommes-nous mitraillés ? Nous nous couchons dans les topinambours. Un bond pendant que les avions s’éloignent. Nouveaux tirs, nouveaux plat ventre. Nous nous installons dans le fossé, au nord de la vigne. Maman effrayée par le tir (tir de D.C.A. surtout) vient nous rejoindre. Je vais à la maison où un nouveau groupe est arrivé. Un officier demande 2 chambres : salle à manger et salon leur sont octroyés. Mazine, Gaby et Lisette préparent le repas dans le petit bois de Calabert. Repas dans le fossé : pommes de terre à l’eau, saucisson, œufs, vin.
L’après-midi, maman et moi, revenus à la maison, nous nous apercevons que la conserve d’œufs a disparu en partie (la moitié). On la cache dans différents placards ou armoires. Les cuisiniers assomment une brebis. On refait la soupe dans le petit bois. Avant le souper, je pars ne sachant pas si je vais passer la nuit à la Poulate ou non. Ces dames insistent pour que je revienne. Vers 8 h. je suis à la Poulate, je dine chez GRÉGOIRE de viande froide et de fromage. Je demande à GRÉGOIRE si on lui a payé sa brebis. Non. Je m’adresse au comptable. Je dois chercher sur un lexique le mot mouton. Je lui dis qu’il doit payer, il me répond : Da ist der Krieg. Très bien, c’est ce que je voulais savoir. Si vous ne payez pas, tant pis. Si vous payez, vous êtes des gens corrects et nous gardons un bon souvenir de vous. Eine gùte erinnerung. Il en référera au Commandant, il est probable qu’ils ne payeront pas. Il demande pourtant le prix GRÉGOIRE le fixe à 800 frs.
Bains à l’Arpie de poule (est une lône au nord du Cul de Veôre). L’après-midi avec Jeannette nous sommes allés chercher le berceau. Nous fermons les armoires à clé, cachons l’appareil. On ne peut surveiller les deux maisons. Mais comme vers 10 heures du soir, tout est calme et installé pour la nuit, je vais rejoindre dames et enfants au fossé, après avoir causé sous la véranda avec un groupe d’allemands et le comptable : Art et Littérature. Il admire Pascal, il est le fils d’un commerçant (de Hanovre) en matériel de bureau. Il aime l’art gothique, me montre des reproductions de la Rosace de Sens. Il admire Platon. Je dis ma profession "Vous êtes un humaniste". Je rejoins ma famille dans le fossé. GRÉGOIRE nous y rejoint un moment : les allemands ont reçu l’ordre de partir et le comptable lui payé 800 F.
Sur ces bonnes nouvelles, la nuit est douce. Peu de tirs d’artillerie. Nous faisons notre expérience de camping, tantôt perpendiculaires au fossé, tantôt au fond. Dévorés par de petites bêtes. Nous sommes entre Jean-Luc et les autres enfants. Plus loin les GRÉGOIRE et les CHARRIER.
Mardi 29
Je vais aux nouvelles, rien de grave pendant la nuit, mais les allemands ne sont pas partis. Le groupe qui devait partir a reçu un contre-ordre, mais les téléphonistes préparent leurs paquets. Maman, Gaby et Lisette viennent faire le café. M. CHARRIER va à Livron. File de camions immobilisés sur la route des Robins. Je passe la matinée au fossé. Maman vient à la maison après le petit déjeuner pour vérifier ses armoires. Tirs de D.C.A. très proches. Est-ce dans la vigne ? C’était en fait à la Poulate que les pièces étaient installées. À la maison j’ai serré la main du comptable en le remerciant. Quand Maman revient apportant de l’eau, je vais à sa rencontre. Avions. Tirs de D.C.A. Nous nous couchons dans les fossés. Maman nous apprend que les armoires ont été fracturées, une partie de la conserve a été prise. Déjeuner : ragoût, œufs durs, saucisson.
Après le déjeuner nous couchons Jean-Luc dans les oseraies. Mazine veut m’accompagner à la maison. Maman s’y oppose. Je suis sur le point de partir quand un groupe d’allemands arrive. Ils font la pause et me retiennent ainsi. C’est alors qu’un bombardement fond sur nous. Des avions avaient été accueillis par la D.C.A. Soudain un sifflement suivi d’un éclatement tout proche. Pendant que Gaby et Mazine regardent la fumée venant de la Poulate, nous nous précipitons vers les oseraies. Un second éclatement aussi proche. Où fuir ? Ils sont sur nous. À la Véore ? À Calabert ? Nous nous jetons vers Calabert en suivant le chemin de halage un peu en contrebas. Nous nous couchons dans le grand fossé de Calabert. Deux nouveaux éclatements sont proches. Je vais chercher Maman en passant péniblement par les oseraies. Celle-ci se trouvait en contrebas de celles-ci. Elle a vu un obus tomber de l’autre côté du Rhône et projeter des branches de peuplier. Je la ramène à Calabert. Nous apercevons René qui nous dit que les obus ont dû tomber au début de l’allée des muriers, mais que le tir s’est éloigné vers Sartre. Il faut fuir vers SIBEUD-VANDESTAIN. Déjà Jeannette et Gaby portant Jean-Luc nous précèdent. Je porte Marc. Fuite le long du Rhône. Arrêt à la maison abandonnée. Nous reprenons nos esprits. Deux Allemands très dégonflés : « les dirigeants allemands sont fanatiques ». Ils s’éloignent vers Valence.
CHARRIER revenu au fossé vers 13h, nous dit que les Allemands sont partis. D’ailleurs toute la matinée la route des Robins fume de la poussière des camions. Parfois des embouteillages. Vers la fin de l’après-midi, nous allons, CHARRIER et moi, à la Poulate. Devant la Poulate, les véhicules, autos, camions, chevaux, fuient à toute vitesse. René dit : C’est Juin 40 sans les civils. Nous rapportons des affaires. Les filles sont arrêtées chez SIBEUD où elles préparent la soupe. Deux voyages pour rapporter notre déménagement. Je laisse ma bicyclette camouflée au bord du Rhône. C’est très tard que nous soupons dans le hangar de MAUDRAND. Chambres ou camping. Nous allons nous installer chez FAILLY (l’ancien meunier, aux Garets), quand la pluie menaçante nous conseille le hangar de MAUDRAND. Nous nous y installons dans la paille.
À la Poulate j’avais sommairement regardé les conserves. Peu de pillages. Mon appareil y est, je l’emporte, le caveau à vins fins a été forcé. Les bouteilles de Ruinart et de Vouvray ont été prises. Mais ils ont dédaigné l’eau-de-vie : les imbéciles : Je confie la clé à GRÉGOIRE.
La nuit, de nombreuses bandes de soldats passent à pied. Un officier accompagné de 2 jeunes femmes réquisitionne la jument noire de GRÉGOIRE et sa voiture. Je demande un papier officiel. Il me le rédige et me tend la main. Je refuse et fais un salut militaire. Heureusement GRÉGOIRE a été défendu par un Rhénan qui a fait les deux guerres, en a assez et se camoufle en civil.
Mercredi 30
Au petit matin, je pars pour la Poulate en émissaire. Maman est persuadée que nous pouvons rentrer à la Poulate. Elle fait préparer tous les paquets. GRÉGOIRE est d’un avis opposé. La fuite allemande continue. Toute la nuit des régiments ont passé. Je vis défiler leur régiment d’artillerie à cheval. Bon ordre encore. Notre maison a été occupée pendant la nuit. Pas de dégâts. On a respecté le salon qui est resté dans l’état exact où il était le mardi matin. Le commandant allemand a dû s’y étendre sur le fauteuil Voltaire. La trace de ses bottes subsiste sur la chaise. Sur la table, près de la fenêtre, sur un petit napperon, 3 tasses, une poire mangée, une bougie sur une assiette. La théière. Cela fait très carte postale historique.
GRÉGOIRE nous raconte qu’une des femmes qui sont passées chez lui a demandé à se laver. Devant la chambre des petites, elle a pleuré. Elle a été réquisitionnée et doit partir avec eux. Plus tard, Mme GRÉGOIRE s’apercevra qu’une bague lui a été volée.
En revenant avec GRÉGOIRE nous avons trouvé des effets abandonnés par un Allemand. Un paquet de café vert, des savonnettes, un pyjama, des lunettes, des papiers. Il a dû être surpris par un bombardement et fuir en vitesse.
Mais où sont les Américains ? Ils ne semblent pas les bousculer beaucoup. Ils passent peut-être par d’autres routes ? Quand arriveront-ils ? Dans la journée, on les dit à 3 km, puis à Loriol, puis à Saulce. Je crains fort qu’ils laissent échapper les Allemands et qu’une bataille sérieuse se livre près de Lyon où il faut forcément que les Allemands passent. Je pense fort que Lyon a dû être repris par eux. Ce dernier jour, peu d’aviation : Pourquoi ?
Le soir, envoyés par S., deux soldats belges veulent qu’on les dirige sur le maquis. Ils ont un mot de S. pour D. Pourquoi s’arrêtent-ils chez FAILLY. Le père S. arrive, saoul comme un pot, arrive en chantant l’Internationale : il y a encore des Allemands dans la maison, sans compter ceux qui y restent pour se livrer comme prisonniers aux Américains. Tout cela nous pousse à coucher non chez FAILLY, mais chez MAUDRAND, avec en plus la peur d’une descente du maquis.
Jeudi 31
La nuit a été très calme. Deux hommes passent après un passage d’avions. Maman pense que ce sont des parachutistes. Vers 7h je pars avec Maman pour la Poulate. Elle fait le café pour les hommes. Je retourne chercher toute la famille. Tout le monde regagne la Poulate. C’est la libération. On prépare le vieux drapeau pour fêter les Américains. Je vais aux nouvelles aux Robins. Tante et Charlotte ont vécu des journées pénibles. Il y a eu un obus dans le jardin qui a cassé une branche (ou plusieurs) du platane et envoyé des éclats chez les MOURIER. Au moins deux obus sur l’église, un a abimé le clocher, l’autre est tombé sur le chœur. La maison du presbytère est criblée d’éclats. Charlotte a un éclat à la jambe. Elles ont passé ces journées dans la tranchée de Vareilles. CHARRIER et moi allons un peu au-delà des Robins vers les voitures américaines que nous ne voyons pas. Le maquis récupère. Il y a du pillage. Un Allemand a offert un cheval à J.J. Ces dames n’ayant pas accepté, MOURIER l’a gardé.
L’après-midi, les prisonniers ont été rassemblés à la Poulate : une vingtaine. Le fils P. arrive sur un vélo avec un grand fusil qu’il échange contre une mitraillette. Une dizaine de prisonniers partent pour les Robins. L’un d’entre eux demande si on ne va pas les fusiller. Non. Arbeiten (travail). Les autres, du côté des ROUVEYROL, enterrent les chevaux, GRÉGOIRE avec son révolver à la ceinture à grande allure. Il envoie promener les maquisards saouls. Parmi les prisonniers, un ukrainien, un peu fou, ne dit rien, ne mange rien, ne travaille pas, inoffensif. Un autrichien qui se rase soigneusement me demande une brosse à dents. Un sanitaire bavard et rasant. Un blessé : un prussien, à moustaches noires, blessé en 40 en France, en 42 en Russie et maintenant il a 3 doigts cassés, la main blessée et une blessure à la cuisse. Le Docteur LOUPI, mandé par GRÉGOIRE vient. Il tient de grand discours, explique que c’est aux F.F.I. à déplacer leurs blessés vers lui. Il demande qu’on prépare une voiture pour le blessé. Quand le domestique de SIBEUD est prêt et que le blessé est déjà sur la voiture, il le fait redescendre sous prétexte que l’on tire sur toutes les voitures sans insigne officiel de la Croix-Rouge. Il enverra une ambulance le soir ou le lendemain matin. La nuit les prisonniers couchent à La Poulate. Nuit paisible et longue.