En 1971 l’entreprise Boimondau dépose le bilan et par le jugement du 22 septembre 1971 le tribunal de commerce de Romans prononce la liquidation des biens de la Société Coopérative Ouvrière de Production Boimondau ; la fin de la première expérience communautaire est proche.
Les locaux se vident des compagnons, l’usine est devenue depuis plusieurs semaines un terrain de jeux pour les enfants, ce qui ne va pas sans quelques dégradations.
Les documents, en boites ou en vrac, sans intérêt marchand, sont laissés sans surveillance.
Marcel MERMOZ, très attaché à l’histoire du mouvement ouvrier à Valence, et bien au-delà, constatant que les archives de la première communauté de travail ne sont pas entretenues prend conscience des risques possibles de disparition de ces précieux documents.
En octobre 1971, il avise Henri DESROCHE de cette situation, qui lui répond quelques jours plus tard (le 28 octobre 1971) : « Je pense qu’il serait temps de recueillir toutes les archives de Boimondau, car on ne peut pas laisser disparaitre dans l’oubli absolu une expérience d’une telle envergure. Je voudrais arriver moi-même à dégager un jour les deux ou trois mois nécessaires pour exploiter ces archives, et commémorer un acteur [Henri DESROCHE pense-t-il à Marcel BARBU ou à Boimondau ?] qui sur nous tous a laissé une pareille empreinte. »
Marcel MERMOZ en informe aussitôt Marcel BARBU qui prend l’initiative d’une action auprès du Président du tribunal de commerce de Romans, Louis BLAIZAC, dans une lettre datée du 18 novembre 1971.
« … À titre tout à fait personnel, je me permets d’attirer votre attention sur l’intérêt qu’il y aurait à sauver de la destruction les archives communautaires de Boimondau.
J’entends par là la partie des archives de Boimondau qui a trait à la naissance, la constitution de la Communauté et au fonctionnement de ses organes originaux : groupes de quartier, équipes professionnelles, équipes sociales, service social, Conseil Général, Assemblées Générales, tribunal intérieur, règles successives.
À vrai dire, ma requête ne vise que la période qui s’étend de 1941 à 1951, c’est-à-dire cette phase de la vie de Boimondau qui fût si gonflée d’un message qui a retenu l’attention de tant de nos contemporains et sur laquelle se sont penchés tant de penseurs, philosophes, sociologues et militants de toutes idéologies.
Comme vous le voyez, il ne s’agit que de documents très anciens et qui n’intéressent pas positivement la liquidation. Ils ne représentent, en outre, aucune valeur vénale.
Je suis persuadé que vous trouverez aisément à Valence les concours nécessaires pour opérer ce tri et ce sauvetage, ne serait-ce qu’auprès des membres de la Cité Horlogère (Hautes Faventines à Valence) et tout spécialement de leur responsable, Monsieur Marcel MERMOZ, mon successeur à la tête de la Communauté Boimondau.
Soyez assuré de ce que ma démarche ne poursuit aucun but intéressé et que je n’en attends rien pour moi-même. Je pense seulement qu’il était mon devoir d’attirer votre attention sur ce qu’il y aurait de regrettable à voir détruire des documents si chargés de significations, de messages, de jalons pour la découverte d’une société humaine adaptée à notre époque, à nos moyens et à laquelle tant d’hommes aspirent, sans pouvoir en formuler les règles pratiques efficaces et satisfaisantes pour tous. »
Le même jour, Marcel BARBU envoi une copie de cette lettre à Maitre René BALSAN (juge-Commissaire de la liquidation de Boimondau).
Le Juge ne tarde pas pour répondre (le 23 novembre 1971) : « Je transmets aussitôt une photocopie de votre lettre aux Syndics chargés de la liquidation : Maitres MADONA et BERNARD, en leur demandant si les archives concernant les débuts et l’organisation de Boimondau existent encore, et si elles n’intéressent pas spécialement un acquéreur éventuel du fonds industriel, de prendre contact avec Mr MERMOZ pour les lui remettre, comme vous le souhaitez. ».
Ce même jour (le 23 novembre 1971), Marcel BARBU reçois un courrier de Maitre Roland MADONNA (administrateur judiciaire, syndic) : « Je vous remercie d’avoir bien voulu attirer mon attention sur l’intérêt qu’il y aurait à sauver de la destruction les archives communautaires de Boimondau.
En plein accord avec Monsieur le Juge-Commissaire, il a été précisé que Monsieur Marcel MERMOZ, votre successeur, pourrait effectuer un tri dans les archives de la Communauté afin de mettre à l’abri les documents ayant une valeur psychologique et une valeur de test pour les vocations que pourrait susciter l’expérience que vous avez tenté.
Je vous demanderai simplement de prier votre successeur de remettre à mon étude la liste des documents qu’il compte récupérer et je ferai rendre, dès que nous serons tombés d’accord sur les pièces présentant un intérêt, une ordonnance par Monsieur le Juge-Commissaire, aux fins de régularisation. ».
La récupération des archives communautaires de Boimondau est maintenant du ressort de Marcel MEZMOZ qui a toujours montré un intérêt certain pour toute conservation de la mémoire ouvrière. Le 29 novembre 1971 il écrit au président du tribunal de commerce de Romans : « Co-fondateur de cette Communauté, et l’ayant dirigé de 1944 à 1953, j’avais entrepris d’écrire un ouvrage sur cette expérience sociale. Les documents, pour ce travail, étaient accessibles grâce à l’obligeance des membres de Boimondau.
Il est à craindre que les archives sociales et communautaires disparaissent ou soient dispersées à l’occasion de cette liquidation.
En accord avec notre fondateur Marcel BARBU et sollicité par moi le Professeur au Collège des Hautes Études, Henri DESROCHE, Directeur du « Centre de Recherches Coopératives », je vous demande de m’autoriser à faire un tri dans les archives Boimondau et de sauver ainsi de la destruction les documents communautaires et sociaux qui jalonnent cette expérience, pour la période allant de 1941 à 1960.
Ces documents n’ont aucune valeur pécuniaire et n’intéressent en rien (vu la période considérée) la liquidation en cours. Au contraire, ils sont chargés, pour ceux qui ont vécu cette expérience, de valeurs historique et affective. Vous trouverez ci-joint, la liste des documents qu’il conviendrait de retrouver et de conserver. ».
Marcel MERMOZ écrit le même jour une lettre à Maitre René BALZAN, l’informe de la lettre qu’il a envoyée au Président du Tribunal de Commerce de Romans, dont il remet une copie, ainsi qu’une copie de la lettre d’Henri DESROCHE et la liste des archives à retrouver. Ce même envoi est remis à Maitre Roland MADONNA.
Il est à noter que Marcel BARBU, comme Marcel MERMOZ, fixent la durée de l’expérience communautaire Boimondau aux 10 à 15 premières années.
Il ne faut pas perdre de temps, un acquéreur pour le fonds Boimondau peut se présenter à tout moment. Marcel MERMOZ récupère les documents qu’il avait listés pour la période 1941 à 1960 :
I-Documents de la vie communautaire
II-Documents de la Résistance et du maquis de Mourras
III-Documents de vie sociale et des œuvres sociales du Comité d’Entreprise
IV-Documents de la vie administrative et économique (1941-1951)
Mais voilà, il en manque. Le 7 décembre 1971, Marcel MERMOZ signale à Maitre MADONNA qu’il n’a pas trouvé 3 pièces mises en sécurité à son départ en 1961 dans le coffre-fort de Boimondau. Il s’agit :
Copie de la lettre de Barbu au Maréchal Pétain, refusant de communiquer la liste des ouvriers pour le STO (1942).
Original du décret de 1942 du Préfet de la Drôme ordonnant l’internement administratif de Marcel BARBU.
Original de l’attestation de Résistance aux allemands du Colonel DESCOURS.
« Il est vraisemblable que vous devez avoir les clefs du coffre et je vous demande, à l’occasion d’une de vos visites à Boimondau de vérifier si ces documents s’y trouvent toujours et de vouloir bien me les remettre. ».
Dans ce même courrier, Marcel MERMOZ précise son projet de reprise du fonds de la Communauté Boimondau par la Cité Horlogère.
Le 13 décembre 1971, Maitre MADONNA répond : « Les documents que vous portez à ma connaissance sont fort intéressants.
Je vous informe qu’il n’y a plus de coffre. Ce dernier a été vendu à la casse il y a 2 ans. »