L'utopie communautaire
Passion et foi sont les motivations de Marcel Barbu à l'origine, en 1941, de la communauté de travail
Boimondau ou “Boitiers de Montres du Dauphiné”. Il est horloger de son état et se lance dans la fabrication des premiers boîtiers de montres étanches français. Expulsé en Zone libre en 1940, il laisse son entreprise de Besançon en gérance, et s'installe à Valence dans la Drôme. Humaniste chrétien, pétri de la culture communautaire des évangiles, M. Barbu ne se contente pas d’être simplement gestionnaire de son entreprise, il veut changer le monde en créant, autour du travail, une véritable communauté d’hommes et de femmes.
Michel Chaudy, militant de la CFDT devenu historien, s’intéresse à Boimondau et rassemble documents et témoignages dans un blog. Pour lui, le fonctionnement de cette communauté se rapproche de l’idéal autogestionnaire : « elle rassemble des hommes et des femmes qui ont en commun un lieu de production, mais la communauté doit aussi apporter à ses membres l'éducation et la formation ; des activités sportives et culturelles ; la réalisation de logements sociaux ; l’organisation de la solidarité… ». Toutefois, la communauté ne reproduit pas le mode de logement regroupé d'un phalanstère et s’oriente vers un habitat dispersé dans les villages et villes de l’agglomération valentinoise 2 cinq à sept familles se retrouvent rassemblées dans un immeuble ou dans plusieurs maisons proches ; elles doivent constituer un “groupe de quartier”, avec l’obligation de se réunir une fois par semaine pour discuter de la marche générale de Boimondau et organiser des activités communes.
L'entreprise elle-même est une SARL classique dont le seul actionnaire, à ses débuts, est Marcel Barbu. Michel Chaudy « en 1941 le statut SCOP n'existait pas, il est officialisé en 1947 et Boimondau devient coopérative en 1948 avec un étrange montage, 'c'est en effet le comité d'entreprise qui détient la majorité des parts. Je ne crois pas que la question de la participation au capital de l’entreprise ait eu beaucoup d’importance, du moins au début. Les ouvriers cherchaient à se faire embaucher parce qu'ils savaient que les salaires étaient parmi les plus élevés de la région et la motivation à la dimension communautaire venait après, tout en sachant qu'une partie du salaire dépendait de l'assiduité aux activités hors travail ! »
En 1942, M. Barbu refuse de communiquer la liste du personnel et s’oppose à la “Relève” (trois départs de jeunes “volontaires” pour l’Allemagne devaient permettre le retour d’un prisonnier) et tous les hommes mobilisables de la Communauté entrent dans la clandestinité pour échapper au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne. Ils se retrouvent ainsi maquisards dans une grande ferme du plateau du Vercors et doivent mener une vie communautaire de grande proximité. En 1943, M. Barbu demande à Marcel Mermoz, savoyard, autodidacte marxiste-anarchiste, de s’occuper de la ferme.
Michel Chaudy « En l'absence de M. Barbu, déporté à Buchenwald, M. Mermoz prend véritablement la direction de la Communauté installée dans le Vercors et insuffle un esprit moins paternaliste et beaucoup plus autogestionnaire : “Oui, explique M. Mermoz, nous faisions de l’autogestion sans connaître le mot. Tout partait de l'assemblée générale, qui avait tous les pouvoirs. Elle fixait les buts à atteindre : tant de boîtes de montres, tant de modèles, tel chiffre d'affaires… Mon pouvoir de “chef” venait de la base ; j’ai gouverné en étant constamment élu avec un statut révocable à tout moment”.
M. Chaudy : Quand M. Barbu est libéré, il ne reconnaît plus “sa” communauté. Le charisme de M., Mermoz y est pour quelque chose et la cohabitation de ces deux fortes personnalités devient vite impossible. Aussi M. Barbu s'éloigne et se lance dans la politique pour tenter de faire aboutir, sans succès, une législation sur les communautés de travail. Il se retire définitivement de Boimondau en 1946 dans des conditions difficiles, ses exigences financières étant mal supportées par les coopérateurs.
Sous l'impulsion de Marcel Mermoz, les impératifs industriels prennent le pas sur les exigences communautaires. L'obligation de se former (culturellement et physiquement) cesse vers 1948, la Règle communautaire est suspendue à la fin des années 1950, les compagnons, devenus minoritaires, assument toutes les fonctions de responsabilité ; l'ancienneté remplaçant les compétences, ce qui provoque une scission entre les salariés plus jeunes et les portants de l'autorité. Boimondau se vide de ses' activités communautaires dans les années 1960 et l'entreprise est en cessation de paiement en septembre 1971 »
Cette expérience de travail communautaire n’a donc pas eu la fin glorieuse de ses débuts, pourtant ce qui était entrepris pour la formation, les activités culturelles, la démocratie, l’entraide..., était novateur et rejoignait les options du familistère de Guise dans la façon de concevoir une approche plus sociale du travail. Mais ces expériences ont 'eu du mal à aller bien au-delà de leurs fondateurs et elles ne se sont pas multipliées malgré l’intention d’en faire des modèles. L'erreur ne serait-elle pas dans une conception trop hégémonique de l’entreprise industrielle, considérée comme l'épicentre de la société civile et empiétant fortement sur la sphère du privé ? « L'usine payait le berceau quand on venait au monde et le cercueil quand on finissait avec le corbillard de l’entreprise », explique Pierre Lemaire, employé pendant quarante-deux ans au Familistère de Guise.
Pierre Lemaire est cité par Thierry de Lestang-Parade, « Au Familistère de Guise, une fête du travail pour honorer un patron ! ››, Le Monde.fr, 30 avr. 2011