4ème de couverture
Dans l’Europe dominée par le IIIe Reich, les Églises chrétiennes connurent les situations les plus diverses. On sait, par exemple, que la zone de la Pologne annexée servit aux nazis de terrain d’expérience pour la politique d’absorption totale ou la liquidation du christianisme que Hitler projetait de généraliser après la victoire finale. Les pays conquis de l’Europe occidentale, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, ne furent pas soumis à une telle entreprise de réduction, mais les chrétiens y furent affrontés aux contraintes et aux provocations d’un régime d’occupation dont les mesures heurtaient à la fois leur esprit patriotique et leur conscience religieuse. Le cas de la France fut particulier en raison des clauses de l’Armistice de 1940 qui prévoyaient la constitution d’un gouvernement national, ayant les apparences de l’indépendance. Quelle fut l’attitude des Églises et des chrétiens à l’égard de l’État français et de l’Occupation allemande, et pour quelles raisons, politiques et religieuses, leurs options furent-elles souvent contradictoires ? C’est à ces questions que des spécialises universitaires et des témoins de la période, réunis en colloque à Grenoble du 7 au 9 octobre 1976, se sont efforcés de répondre en appliquant leurs recherches à la région Rhône-Alpes. Le choix de ce cadre régional a permis une approche fouillée du terrain que l’histoire des Églises durant la guerre a trop tendance à négliger. Il s’est aussi révélé particulièrement fécond, tant pour une meilleure connaissance de la part prise par les chrétiens à la Révolution nationale que pour les nombreuses initiatives de résistance spirituelle qui, de cette partie du pays, rayonnèrent sur l’ensemble de la France.
Chapitre 4, LES CHRÉTIENS ET LA RÉSISTANCE
Discussion : page 308, intervention de JM DOMENACH
En ce qui concerne Uriage, j’aurais simplement insisté un peu plus sur la communauté Boimondau, sur Barbu et Mermoz, sur cette aventure extraordinaire, qui a été lié étroitement à Uriage, qui a donné dans l’utopie, mais aussi dans l’engagement le plus concret, le plus militaire. « Communauté », mot ambigu lui aussi, je rappelle encore le mot d’ « Ordre » qu’il faudrait scruter. Uriage a voulu faire un ordre.
Chapitre 5, LES ÉGLISES ET LES CHRÉTIENS à L’AUTOMNE 1944
Discussion : page 332, intervention de l’Abbé LOCHE
Cependant [Mgr Pic à Valence] il ne s’est pas totalement écarté du communisme, il ne faut pas le croire ! Il avait fait étudier comment, en 1848, le communisme avait essayé de s’introduire en France. C’est lui qui a collaboré avec un certain M. Barbu (qui a été nommé hier, et c’est heureux qu’on l’ait au moins nommé). Barbu avait voulu faire ceci : introduire une société communisme en France, un communisme auquel on ne pouvait rien reprocher sur la question évangélique. À cette époque, c’était peut-être une utopie. L’idée pouvait pourtant être réalisée : il l’a prouvé lui-même. Sa tentative fit faillite pour diverses raisons. Mgr Pic collabora avec Barbu. Évidemment, ils n’allaient pas toujours la main dans la main : ils se donnaient quelquefois des coups de pied. C’est quelque chose que l’Affaire Barbu, l’affaire Boimondau, l’essai de réalisation d’une société communisme dans un monde comme celui où nous vivons actuellement. Personne, de nos jours, ne le voudrait. Barbu avait emprunté en partie sa théorie à quelqu’un qui est mort, mais dont la théorie est toujours vivante au Canada : Louis Even, Louis Even qui a aussi inventé un communisme qu’il appelait « communisme chrétien ». Il y eut d’ailleurs, dans l’histoire un jésuite qui fonda une société communisme (chrétienne, bien sûr) : c’était au Paraguay.
Page 334, intervention de JM DOMENACH
Je crois qu’il y aurait un très grand intérêt à revoir ce qui s’est passé avec Barbu, et qui est quelque chose d’exceptionnel. Barbu et Mermoz s’étaient rencontrés dans un camp de Vichy et ont été les fondateurs de cette communauté que l’on peut appeler en effet « communisme » au sens strict du mot, et qui a été probablement quelque chose d’unique en France, mais ce qui concerne notre colloque et les recherches qui seront faites, c'est la position prise par Barbu, chef d’entreprise, devant la Relève, et qui est, je crois, à ma connaissance, unique en France. Lorsque le préfet de la Drôme envoya la circulaire de Vichy demandant aux chefs d’entreprises de désigner des travailleurs pour l’Allemagne, de les proposer pour la relève, Barbu réunit sa communauté. Il décida, que jamais ne serait désigné qui que ce soit : ou bien, ils partiraient tous ensemble, ou bien, ils resteraient tous. Et Barbu écrivit une lettre dans ce sens au préfet ; et comme le préfet insistait, Barbu dit : « Eh bien ! Dans ce cas-là, nous déménagerons l’usine ». Ce qui a été fait, puisque l’usine est passée sur le plateau de Combovin, et ç’a été l’un des premiers maquis de France. Il y a eu là, je crois, l’exemple unique, d’un homme qui est resté dans un esprit chrétien ; mais chrétien dans le sens parfaitement évangélique du mot. Mermoz qui est un athée, un anarchiste, me disait : « Pour moi, Barbu c’est Jésus-Christ ». Et Barbu avait quelque chose d’incroyable, de fulgurant et d’extravagant en même temps, dans son attitude ; il a fini par être déporté à force de provocations, toujours évangéliques d’ailleurs. Je crois que, s’il y a un exemple de Résistance chrétienne dans la région Rhône-Alpes, au sens presque parfaitement pur du mot chrétien, avec cela avait en même temps d’apolitique, je crois que c’est celui de Barbu.