Immédiatement, nous décidons de porter secours tandis que les femmes resteront dans ce camping improvisé. Au plus vite, nous nous dirigeons vers Valence. Notre ville est méconnaissable, car si les bombes ont raté le pont, elles ont détruit plusieurs quartiers, faisant des centaines de morts. La destruction de l’abri de la place Vauban, en particulier, a fait de nombreuses victimes. Le boulot ne manque pas, aussi avons-nous vite fait de nous transformer en pompiers, en terrassiers, déménageurs.
La maternité de l’hôpital, anéantie sous les bombes, n’est plus qu’un enchevêtrement de poutres et de gravats d’où l’on ne peut que retirer des corps sans vie. Très vite, il nous faut tenir un mouchoir sur la figure tant l’odeur qui se dégage de ces gravats est insupportable.
Le directeur de l’hôpital qui a échappé au désastre assure notre repas de midi dans les sous-sols qui ont résisté. Il accroche à chacun de nous un brassard de la Croix Rouge. Ainsi il nous sera possible de traverser la ville au travers des armées allemandes qui refluent par les boulevards.
Les troupes d’occupation qui refluent vers l’est en suivant la vallée du Rhône, n’ont pas le sourire de celles qui avaient envahi la zone sud jusqu’à la Méditerranée après le débarquement des Alliés en Afrique du nord au mois de novembre [1942]. Les tankistes prudents ont mis leurs énormes chars d’assaut à l’abri sous les arbres des boulevards. Traversant la place Madier Montjau pour rejoindre la place de la Paix, nous ne sommes pas très fiers malgré notre brassard de la Croix Rouge. Debouts sur leurs engins en attente d’on ne sait quoi, ils nous regardent indifférents comme s’ils paraissaient ignorer cette armée de mercenaires très mal équipée, qui descend vers le sud pour protéger leur repli. Peut-être n’ont-ils pas envie de se mettre à découvert et attendent la nuit pour repartir.
Un soir, de notre camping, nous assistons au bombardement près de Châteaubourg de la route nationale et de la voie ferrée côté Ardèche. Maintenant, il n’est plus possible de traverser le Rhône, car tous les ponts sont coupés entre nos deux départements. Un matin de notre chantier de l’hôpital, nous assistons, curieux, à la tentative de deux « vert de gris ». Ils ont récupéré une barque du côté des Granges et à grands coups de rames, ils tentent de traverser le fleuve. Mais le courant trop fort les emporte et nous ne saurons jamais s’ils ont réussi à rejoindre les berges du côté Drôme.
Un autre jour, tandis que nous piochons toujours sur notre chantier de l’hôpital, deux autres militaires habillés de vert, les mains en l’air, viennent se rendre. Ils en ont assez de cette guerre, ils parlent correctement le français et se prétendent Alsaciens enrôlés de force ! Nous demandons l’avis du Directeur qui nous conseille de les garder pour travailler avec nous. « Ils ne vont pas s’envoler » nous dit-il. Ils coucheront à l’hôpital et il faudra quand même deux volontaires pour les garder la nuit. L’un d’eux se prétend architecte et participera, plus tard, au tracé des nouveaux bâtiments rue Montplaisir. L’autre étant cordonnier sera employé à de multiples travaux d’entretien. Ce sont les autorités de la Libération qui leur ont accordé pour quelques années ce privilège avant de retourner dans leurs foyers.