Gustave Coureau

Romanais et hommes de devoirs

Gustave COUREAU 

    

En 1940, Romans et ses environs accueillent de nombreux réfugiés fuyants l’avancée rapide de l’armée allemande. C’est dans cette situation que la famille de Gustave Coureau retrouve Romans, sa ville natale et comme tant d’autres, il participe à la mise en place de la Résistance.

Gustave François Charles Coureau est né le 2 septembre 1913 à Romans, enfant unique de Pierre François Charles Coureau et de Marguerite Isabelle Germain.

Il va dans les meilleures écoles de la ville puis au lycée Saint-Maurice à Romans.

Il fait partie de la troupe scoute Saint-Georges dont il devient l’un des chefs.

Son père le prépare au métier de chef d’entreprise. Il n’a pas encore 18 ans qu’il est envoyé en stage à Butzbach (Allemagne) dans l’usine de chaussures Salamander, il perfectionne la pratique de la langue allemande et découvre d’autres méthodes de fabrication.

À son retour d’Allemagne, Gustave entre comme employé de commerce dans l’entreprise de son père.

Gustave COUREAU  

La première entreprise de fabrication de chaussures créée la famille Coureau date de la fin du 19ᵉ siècle. Expérience de courte durée, car  François Coureau, grand-père de Gustave, liquide son affaire en 1903.

 

En 1920, Antoine Eisenreich s’associe à Jullien Rosset, fabricant de chaussures depuis 1910 rue Guillaume, et créent ensemble la marque ASTRA. Elle fait faillite le 29 janvier 1924.

Quelques mois plus tard, le 1ᵉʳ avril 1924, Pierre Coureau, qui est à cette date représentant de commerce, lance sa société, garde la marque « Chaussures Astra » qui aura une fin tragique par l’incendie de tous les ateliers le 22 mai 1932 (quelques jours après le mariage de Gustave avec Marcelle). Le journal « Le Bonhomme Jacquemart » du 25 mai 1932 relate deux incendies bizarres qui se sont déclarés à 17 h 45 : l’entreprise ASTRA et un entrepôt de cuirs qui ont lieu en même temps, mettant 120 salariés au chômage en moins de deux heures.

Il y a des commandes, la marque ASTRA est connue, Pierre Coureau redémarre la 26 novembre 1932 la fabrication dans des nouveaux locaux avenue Duchesne.

Pierre Coureau décède brusquement le 29 décembre 1936, dans sa 61e année, ce qui entraine la liquidation de la société anonyme des chaussures Astra prononcée le 10 juillet 1937.

La marque Astra est reprise quelques années plus tard par un autre fabricant.

Photo : Maison de naissance de Gustave Coureau, 2 avenue Thiers, maintenant 2 avenue Jean Moulin

 

 

 

L’amitié entre les familles Coureau et Eisenreich va se traduire par le mariage de Gustave et de Marcelle (née aussi à Romans) l’une des filles de Antoine Eisenreich, le 6 mai 1932. Marcelle a 27 ans et Gustave pas encore 19 ans.

Le dimanche 22 mai 1932, Marcelle et Gustave Coureau reviennent d’un court voyage de noces, Romans se présente à leur vue par une épaisse fumée dans le ciel : c’est l’incendie qui détruit complètement l’usine de chaussures ASTRA. C’est l’avenir de toute la famille qui s’assombrit. Gustave fait une croix sur son avenir dans la chaussure et la poursuite de l’entreprise de son père. Il lui faut assumer la sécurité financière de sa famille, d’autant plus que son premier enfant, Pierre (comme son grand-père), arrive bien vite.

Gustave COUREAU  

Un oncle de Marcelle, habitant Montigny-le-Roy (Haute-Marne) possède un magasin d’habillement, meubles et petits ustensiles de cuisine « Établissements Bresson François ». La famille Bresson accueille toute la famille Gustave Coureau, l’héberge et l’aide à son installation. Gustave apprend le métier de représentant, les conditions ne sont plus les mêmes que dans la chaussure, maintenant Gustave parcourt la région avec une camionnette du magasin pour proposer les marchandises et prendre des commandes qui seront livrées au passage suivant. Pendant cette période stable, après Pierre, arrivent en 1936 deux garçons jumeaux qui égayent la famille.

Vers 1938, Gustave prend la direction d’un nouveau magasin à Vittel, succursale de celui de Montigny-le-Roy. Tout se passe bien jusqu'à juin 1940…


Photo : Famille de Gustave Coureau à Vittel en 1936

Entassés dans la voiture de leur oncle, Gustave Coureau, sa femme Marcelle et son fils aîné à l’avant, sa mère (qui les a rejoint après le décès de son mari) et les deux autres enfants à l’arrière et des colis partout où c’est possible, jusqu’à des matelas sur le toit, quittent Montigny. À la sortie de la ville, les avions allemands piquent et bombardent la file des fugitifs. Sortie rapide des voitures, coucher à plat ventre dans les fossés de la route, ils attendent que les avions aient disparu de la vue et que le silence revienne. Ils se redressent, se comptent, tout le monde est là, ils reprennent la route sans tarder.

Au milieu des milliers d’autres réfugiés, souffrant de la chaleur, de la faim et des alertes, ils arrivent au Puy (Puy-en-Velay, Haute-Loire), rassemblés dans une grande propriété où ils campent dans le jardin. Au loin, la Croix de Cleyssac  les domine, c’est un signe auquel Gustave est sensible.

La signature de l’armistice et la France coupée en plusieurs zones leur enlèvent toute idée de retour à Montigny. La promiscuité dans ce jardin leur pèse, cela ne peut plus durer, ils prennent la direction de Romans où ils ont encore de la famille. Grâce à l’allocation de réfugiés, la famille Coureau loue un appartement de deux pièces, au 15 boulevard de l’Ouest à Romans. Gustave se lance dans la recherche d’un emploi.

Le seul travail qu’il lui est proposé, c’est d’être formateur auprès des jeunes aux Compagnons de France. Il suit un stage de formation comme tous les candidats chefs compagnons.

Il n’est pas prévu dans cet article de faire la Genèse du mouvement des Compagnons de France, nous reprenons une courte présentation faite par Robert Serre (1).

Le mouvement des Compagnons de France est né en France en débris de juin 1940.

Pétain et plusieurs de ses ministres l’encouragent. Selon le vœu du Maréchal, les Compagnons devaient être « les pionniers du redressement du pays par leur travail, leur ardeur généreuse, leur passion de servir ».

Il s’agit, sur la base du volontariat, de mettre aux jeunes chômeurs « des souliers aux pieds, du pain à la bouche et de l’espoir au cœur », de placer ces « jeunes Français en friche » au service de la nation et de les faire concourir à l’aide aux réfugiés, aux prisonniers, à tous ceux qui sont encore à la ferme, à l’atelier ou au chantier.

L’insigne métallique des Compagnons représente un coq stylisé blanc sur fond rouge.

C’est le symbole d’une France aux origines paysannes, fière, opiniâtre, courageuse et féconde, il représente une certaine idée de la France dans l’imaginaire collectif.

Le mouvement fonctionne sur un mode militaire.

Les jeunes Compagnons sont employés pendant six heures chaque jour à des travaux de forestage, de carbonisation, de terrassement, ou dans l’agriculture.

Après le travail, l’éducation physique et la formation prennent le relais. Salut, cérémonie au drapeau, serment d’engagement confirment que l’on a affaire à un mouvement « ardemment pétainiste », qui « applique et fait appliquer les mesures de salut public prises par le gouvernement ».

Marqué par l’influence du scoutisme et de l’action catholique, le mouvement a le souci d’apporter aux jeunes une formation physique et intellectuelle, morale et civique, sans embrigadement confessionnel ou politique, dans une autonomie farouchement défendue.

Gustave Coureau prend la responsabilité des Compagnons de France du Valentinois en avril 1942, en fait, le Valentinois c’est, en 1940, toute la Drôme. Quelques jours après son installation, Coureau rencontre Guillaume de Tournemire, responsable national du mouvement, qui l’invite à prendre contact, « à titre personnel », avec le lieutenant Arnaud, responsable de l’Organisation de la Résistance dans l’Armée à Valence. Et c’est ainsi que le lieutenant Arnaud dans une note « Formation de la Résistance armée dans la Drôme le 11 novembre 1942 » date où toute la France est occupée.

Dès cette date viennent à nous :

L’équipe de camouflage de matériel sous le commandement du Capitaine Fabre, qui sort une partie des armes du CREVAN [Centre de regroupement des engagés volontaires pour l'Afrique du Nord] (six F.M., quarante fusils). Cette équipe compte environ 50 Hommes.

Un groupe de 60 prisonniers évadés et mis sous les ordres du Capitaine Benezech.

Ma section de gardiens civils de l’État-major : 50 Hommes

La Communauté Barbu : 80 Hommes

Les Compagnons de France, amenés par leur chef COUREAU : 150 Hommes.

C’est autour de ces petits éléments, qui formeront plus tard le noyau du bataillon Benezech, que vient peu à peu se cristalliser la Résistance armée de la Drôme.

C’est l’action de Gustave Coureau auprès des jeunes compagnons qui a largement contribué à la création de la 6ᵉ  Compagnie du 2ᵉ Bataillon, 1ᵉʳ Régiment de la Drôme.

  

Est-ce un acte de bravoure ou de l’inconscience ? Pour Gustave l’amitié vaut quelques risques.

Gustave COUREAU  

Gustave Coureau et Bruno Larat (né le 2 septembre 1913) habitent tous deux Romans, les deux jeunes hommes vont au lycée Saint-Maurice à Romans et se retrouvent dans la troupe scoute Saint-Georges. En mai 1931, depuis Butzbach où Gustave est en stage, il écrit une lettre à Bruno où il dit qu’il n’oublie pas sa mission auprès des jeunes de l’école : je ne vous oublie pas, vous, mes amis de « là-bas », vous, ainsi que tous mes petits frères dont Dieu m’a confié la garde. Est-ce cette promesse qui l’engage encore en 1944 ?

Sur cette photographie de classe (1929-1930) au lycée Saint-Maurice à Romans, Bruno Larat est à la 5ᵉ position en partant de la gauche, au 3ème rang en partant du haut. Gustave Coureau est juste derrière le Père supérieur, il porte déjà des lunettes.


Gustave COUREAU  

Le Capitaine Bruno Larat rejoint l’Angleterre le 27 juin 1940. Il est nommé chef du Centre d’Opération de Parachutage et d’Atterrissage (COPA) dont le but est de permettre le transport de personnalités entre la France et l’Angleterre, il supervise la réception des parachutages et des fonds destinés à la Résistance. Il est parachuté une dernière fois en mars 1943, il installe son bureau à Lyon. Il est arrêté le 21 juin 1943 à Caluire-et-Cuire chez le Docteur Dugoujon  en même temps que Jean Moulin.  Interrogé, torturé au fort de Montluc, il est transféré à la prison de Fresnes à la fin du mois d’août.

Gustave Coureau essaie de le joindre par l’intermédiaire de l’abbé Stock qui lui apprend son transfert en Allemagne. L’abbé obtient le numéro du wagon où Bruno Larat sera enfermé pendant son transfert. Sachant que ce wagon était pour quelques jours à Royallieu, Gustave Coureau y dépose, en bravant de grands dangers, un paquet au nom de Bruno Larat contenant une miche de pain dans laquelle il a glissé une lime d’acier.

Bruno reçoit bien le paquet et commence à scier les parois du wagon mais il doit y renoncer suite aux réactions des autres déportés qui craignent des représailles, les Allemands ont prévenu : pour un évadé, dix détenus fusillés, pour deux évadés, vingt détenus fusillés, tout le wagon au-delà. Gustave Coureau apprendra quelques jours plus tard par l’abbé Stock que l’évasion de son ami a échoué. Bruno Larat est déporté à Buchenwald le 27 janvier 1944, il meurt le 5 avril 1945 (il y a une rue Bruno Larat à Romans).


1942, Bruno Larat, Photographie de Judith DRAIG, 50 avenue SHAFIEBRURY à Londres. Ce portait de Bruno Larat est le plus répandu.

C’est quoi être résistant en 1942-44 ? N’attendons pas de Gustave qu’il livre la liste de ses actions qui vont de l’élaboration de compte rendu d’activité hebdomadaire des Compagnons de France qui laissent apparaitre quelques informations sensibles que le réseau « Druides » saura utiliser. De la transmission de message qu’en tant que chef des Compagnons, il a la liberté de se déplacer. Ou bien aider quelques jeunes à se cacher dans le maquis de Combovin de la communauté Barbu ?

Il ne portera pas de fusil, c’est sa conception de la vie, il ne choisit pas le maquis, se cacher, être loin de sa famille ce n’est pas pour lui.


Gustave COUREAU  

  

Pour se protéger, il prendra le nom de Gustave Colin. Comme tous les membres du réseau « Alliance » dirigé par Marie-Madeleine Fourcade, (dont fait partie le sous-réseau Druides), portent un nom d’animal


Alors, laissons parler deux témoins romanais :

Le témoignage de Jeanne Deval dans son ouvrage « Les années noires »  est intéressant, car il montre la préparation des Compagnons vers la Résistance : « Monsieur Coureau, un romanais de toujours et qui fut responsable départemental des Compagnons de France m’a remis le code d’Honneur récité chaque jour par les jeunes au moment du lever des couleurs et qui se termine ainsi « A l’œuvre compagnons, que notre compagnonnage fasse la France Libre, Jeune et Fière. Monsieur Coureau tenait particulièrement à ce que cette phrase soit citée, car elle exprime bien l’esprit de la Résistance, caché bien sûr, à cette époque, mais qui devait devenir agissant chez les Compagnons de France ».

Dans son ouvrage, « Nous étions cent cinquante maquisards », Lucien Micoud (la famille Micoud habite au 26 avenue Thiers à Romans) présente Gustave comme l’un des organisateurs des Forces Française de l’Intérieur regroupent les principaux mouvements militaires de la Résistance : « Il fallut pourvoir à Valence au remplacement de Gustave Coureau, aussi bien à la tête du groupement FFI en formation qu’à celle du mouvement compagnon, dont la dissolution ne pouvait pas arrêter les activités ».

Dans le livre « Les Compagnons de France », Robert Hervet relate une réunion clandestine après la dissolution du mouvement en janvier 1944, « Pendant cinq journées pleines (2-7 mars 1944), un groupe de travail constitué par l’état-major des penseurs des Compagnons de France dissous, se réunissait au Marteray » (un château situé entre Lyon et Grenoble). Gustave Coureau qui participait à cette réunion ne revient pas à Romans, car on vient de la prévenir qu’il est recherché par la Milice.

Paris libéré (depuis mars 1944, Gustave se cache à Paris avec sa famille), il prend la responsabilité du Service Social de la Communauté de travail Marcel Barbu jusqu’au retour du chef de communauté de Buchenwald.

En septembre 1945, il devient chef de maison à l’école des Roches. Sa mission est d’accueillir et de recréer un environnement familial aux élèves en internat.

En 1952 il crée, avec d’autres, le « Centre de Formation et de Perfectionnement des cadres et de la maitrise », il  assure les fonctions de relation avec les entreprises et est formateur sur les sujets : fonction de la maitrise, connaissance du personnel, comportement des hommes, ambiance de travail, discipline, responsabilité et autorité… Il intervient dans toutes les grandes entreprises françaises : Sté des poudres, St Gobain, Rhodiaceta, cimenterie Lafarge, aciérie et forges de Firminy, bâtiments et travaux publiques…

En 1965, Gaston est dans sa 52ᵉ année, il crée « Hommes et Entreprise » où il assume les fonctions de conseils et de relations humaines. Il prend sa retraite à 72 ans.

Gustave décède le  21 juillet 1994, dans sa 80ᵉ année, à Romans, la ville qui l’a vu naître.

Bien que ce ne fut que quelles années de sa vie, attardons-nous sur la période 1940-1944.

Ce que nous constatons de Gustave Coureau, confirme ce qu’écrit Lucien Micoud : « Il est vrai aussi que, si d’admirables résistants rentrèrent dans le rang, la guerre finie, jusqu’à se faire complètement oublier, d’autres, vrais ou pseudos, surent exploiter les circonstances à leur bénéfice, en évinçant sans scrupules, s’il le fallait, ceux qui risquaient de faire obstacle sur le chemin de leur ambition ».

L’affirmation de Lucien Micoud : « si d’admirables résistants rentrèrent dans le rang, la guerre finie, jusqu’à se faire complètement oublier » colle bien à Gustave Coureau qui n’a jamais demandé une reconnaissance quel qu’elle soit de ses actions dans la Résistance. Et pourtant, les témoignages le prouvent : Arnaud, Deval, Micoud, pour les personnages de la Drôme, il aurait bien pu « exploiter les circonstances à son bénéfice », et même en « profiter » lors de sa rencontre avec le général de Gaulle, le 4 septembre 1944, au ministère de la guerre à Paris et faire valoir ses actions dans la résistance et peut-être obtenir une reconnaissance nationale.

« Je n’ai fait que mon devoir » dira-t-il à chaque occasion. Devoirs envers les amis, que ce soit Bruno Larat ou Marcel Barbu lors de leur arrestation et leur déportation à Buchenwald. Et devoir envers un ami d’enfant, romanais, engagé dans la milice, condamné à mort à la libération, qui ne put, à son grand regret, l’accompagner dans les derniers instants. Devoirs envers son pays, car il sut mettre à son service ses qualités d’organisateur et sa discrétion.

Photothèque :

Des photos misent à disposition par Pierre Coureau

Collection privée et collection Michel Chaudy

  

Bibliographie :

Les années noires, DEVAL Jeanne Gustave COUREAU

 

Les Compagnons de France du Valentinois » de Michel CHAUDY Gustave COUREAU

 

Nous étions cent cinquante maquisards… De la bataille de Gigors à la libération de Valence. Lucien MICOUD Gustave COUREAU

Date de dernière mise à jour : 20/08/2024

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