Les premiers compagnons de Marcel BARBU s’installent en février 1943 et vont, pendant un an, donner beaucoup de vie au plateau de Marquet.
Et à Valence, les activités continues.
En quelques mois, quelle organisation, que de changement à Mourras !
Les compagnons s’installent :
De quelques compagnons au début, qui utilisent les locaux de la ferme, bien vite, par l’ajout de deux baraques Adrian, pouvant accueillir la famille BARBU et une bonne dizaine de compagnons. Les baraques servent de dortoirs, cantine, de salles de réunions et de formation…
Et l’équipement ne manque pas : tableau, bibliothèque, tourne-disque, radio…
Les baraques montées, il faut commencer les travaux des champs. La bonne volonté ne suffit pas. D’abord, on copie sur les voisins, le matériel du père DIDIER est vieux et pas en bon état.
Beaucoup de temps est passé dans les réparations.
Le travail est plus dur qu’en ateliers.
Texte du bulletin Le Lien, non signé
Au milieu des difficultés, notre ferme s’organise. En dépit de la température, malgré notre manque d’expérience, le blé et l’avoine sont ensemencés. Nous préparons le terrain pour l’orge, la pomme de terre, et les jours qui vont suivre seront des jours d’activité intense. La terre n’attend pas et il faut au plus vite labourer, ensemencer, si nous voulons récolter à l’automne. Chacun fait vaillamment sa tâche. Bien sûr, il y a des jours où le travail est dur, car le vent souffle un peu fort et nous n’avons pas d’outillage en bon état pour travailler ; pourtant il faut tout de même nous accrocher à l’ouvrage, essayer de nous adapter, de faire avec cœur ce labeur dont dépend la subsistance de la communauté toute entière.
Au travail compagnons ! Coude à coude, tous ensemble, nous triompherons des difficultés. Peu à peu, nous améliorerons notre logis, nous apprendrons à travailler, à dominer la nature, à la faire servir à nos besoins. Notre intérêt est là, mais aussi notre joie. La terre est une source de richesse. Il faut savoir les découvrir.
Le Lien N° 1, du 10 avril 1943 (pas signé)
Par temps difficile, des loisirs sont organisés, il ne faut pas laisser les compagnons dans l’oisiveté : lecture, jeux de ballon ou de boules, et cours de français, de math, etc.
La ferme se développe :
Le premier avril 1943, arrive Marcel MERMOZ, fils de paysan, il est tout de suite désigné « chef de la ferme de Mourras ».
Lancer la culture des champs, haricots, betteraves, pommes de terre… et de l’élevage, etc. Un plan est établi.
Creuser un puits, car le manque d’eau est cruel, pour les hommes et les animaux qui sont de plus en plus nombreux. Ce puits n’a pas dépassé les 4 mètres et demi, butant contre le rocher.
Texte du bulletin Le Lien, non signé
Le cheptel s’agrandit. Quatre petits chevreaux sont nés, une lapine a fait ses petits. Nous avons aussi acheté 51 moutons et trois petits cochons. Deux petits agneaux sont morts cette semaine : l’un pour avoir trop mangé de luzerne, l’autre probablement pour des troubles alimentaires.
Il faut garder les vaches et faire attention qu’elles ne mangent pas les blés qui ont du mal à pousser.
Le Lien N° 2, de mai 1942
Sans oublier, la construction d’un atelier pour fabriquer des boites de montres. En effet, l’usine de Valence est surveillée par les autorités allemandes et la production peut-être, du jour au lendemain, arrêtée.
À la Communauté, la culture, les sports ne sont pas oubliés :
Des formations : musique, français, mathématique, sont organisées avec des professeurs venus de Valence.
Témoignage de Jeanne BOISSONNIER :
Les ouvriers travaillaient, ils avaient des conférences et des cours scolaires.
Papa attendait le mardi, jour des cours de math. Il demandait l’énoncé des problèmes qu’ils avaient à faire, il les faisait lui-même et attendait la correction le mardi suivant. Papa aimait faire les maths, il avait de bons résultats.
[Jeune voisine de la ferme de Mourras]
Pour améliorer les relations entre Valence et Combovin, les compagnons rédigent un bulletin : Le Lien numéro 1 date du 10 avril 1943. Tous les articles sont réalisés par les compagnons. Tous les sujets sont abordés.
Ce bulletin doit améliorer l’information entre les compagnons de Combovin et ceux restés à Valence, car au retour des compagnons des champs, bronzés, laisse penser qu’ils sont en vacances.
Le sport n’est pas oublié : un terrain multisport. Tous les dimanches matin, décrassage physique.
Des distractions sont nombreuses :
Vendredi 16 juillet 1943, soirée artistique par les Compagnons de la musique (qui deviendront les Compagnons de la chanson après la guerre).
Mise en place d’un orchestre, activités artistiques
Pour la fête du 15 août 1943, où toutes les familles se réunissent à Mourras illuminé, souvent les voisins sont invités à se joindre à la communauté.
[Photo ci-dessus : la promotion Mourras des Compagnons de la Musique]
La Communauté rencontre la population :
Les habitants de Combovin sont un peu bousculés. Rapidement les compagnons vont à leur rencontre, des réunions sont organisées qui permettent une meilleure compréhension entre les travailleurs de champs et les travailleurs des villes.
Le Conseil général approuve les actions avec les habitants de Combovin : gouvernement des paysans, conférences. Groupement des jeunes. Prise en mains des intérêts communaux. Aide aux paysans en vue de la résistance à l’oppression.
La veille du premier mai, les compagnons vont de ferme en ferme pour chanter les « Mai ».
Invitation des voisins aux soirées, aux formations, envoi de circulaires aux voisins pour proposer des coups de main, réparation de matériel.
Il est impossible que les habitants de Combovin n’aient pas senti un changement, surtout ceux du plateau. La population de Combovin est souvent sollicitée.
Ces nombreuses activités laissent peu de répit aux compagnons.
Du matin au soir, ils sont sur la brèche. Pas de répit.
Pour les membres du Conseil général ce sont de multiples réunions pour l’organisation de la ferme, pour étudier les articles de la Règle et prévoir leur mise en pratique.
Pour illustrer cette fatigue, je vous propose un poème de Robert BROZILLE : TOUT UN RÊVE
Et j’ai rêvé d’un drap bien blanc, bien doux et bien frais,
Car depuis des mois, je n’avais pour litière qu’un glacis froid ou une paille en miette.
C’était la guerre…
Et j’ai rêvé aussi d’un moment de solitude,
Un moment,
Cinq minutes.
Ce n’était pas possible car ils étaient là,
Les autres,
Autour de moi,
Qui cherchaient aussi,
Cette minute
Ce rien de temps,
Cette virgule qui, sur une portée de musique
Vous laisse le temps de respirer.
Mais non,
Pas même cette virgule,
Cette aspiration profonde dont on sent que vous claquerez si vous ne l’avez pas.
Alors, j’ai haï les autres hommes,
Mes frères, je les maudissais, car leur présence me rendait fou
Car je les sentais partout comme l’œil de Caïn.
Alors, j’ai voulu déserter les hommes,
Les fuir, car leur présence me faisait trop mal.
Et j’ai rêvé d’un bois…
D’un petit ruisseau…
D’une maisonnette…
Perdus loin des humains.
Le Lien N° 5, du 1er août 1943
La communauté déménage.
Le 7 novembre 1943, tout le plateau de Mourras est recouvert d’une épaisse couche de neige.
Le vent du nord, froid, passe à travers les planches des baraques, rendant le chauffage impossible et le sommeil difficile.
[Ferme de Saint-Raymond, sous la neige, en février 1944]
Les résistants sont de plus en plus nombreux, et le plateau est de plus dangereux pour la population.
Il est décidé : de regrouper les hommes et les animaux dans la ferme de Saint-Raymond, proche de la source de la Véore et d’accès plus difficile.
La famille BARBU, avec les jeunes enfants, regagne Valence.
Quelques compagnons sont envoyés à Besançon.
L’année 1943, pleine d’espoirs, de travail, de rencontre et d’amitiés, se termine dans la crainte du lendemain.
Ils n’ont pas eu faim grâce à la production de la ferme, même, ils ont maintenu la production de boitiers de montres, ce qui fait qu’ils n’ont pas manqué d’argent. En appliquant la Règle qu’ils viennent d’adopter, nouveaux propriétaires collectifs de l’entreprise, l’avenir pourrait être radieux.
Mais c’est la guerre et le danger se rapproche.