Boimondau, les années Combovin

midy Par Le 11/10/2024 à 15:37 0

Journées du patrimoine le dimanche 22 septembre 2024 à Combovin

Combovin le 22 juin 2024 

 

 

Quel bonheur d’être à Combovin pour les 80 ans de la Règle Communautaire !
La Règle, mise en service le premier janvier 1944, c’est, comme un monument que l’on a toujours l
e plaisir à rendre visite.

Document de travail qui a servi pour cette journée

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Sur les traces de Boimondau

Le documentaire de Samuel SAGON, Sur les traces de Boimondau, survole en 12 mn, toute la vie de la communauté Boimondau.
Samuel a découpé l’histoire en trois périodes
1. Les premières années : découverte de la Communauté, la guerre, le maquis et la Règle…
2. La libération, le développement, les activités sociales, les réunions de quartier…
3. La crise, moins de social, la fin, la chute un peu brutale de Marcel MERMOZ.
C’est très bien fait !

Les voix reconnues des compagnons communautaires : Hélène MARIE, Pierre CHARIER, Robert BROZILLE, Marcel BOULANGER, Micheline FOURQUET, Georges NORMAND, Madeleine et Marcel BESSIÈRE…

Voir et écouter le film « Sur les traces de Boimondau »

Mon intervention se situe à Combovin, je ne parlerai que de la période de la Communauté à Combovin, son impact sur la population.
La Règle communautaire est le fil conducteur de ce jour, Combovin a tenu une place importante dans sa rédaction.

Chaque fois que c’est possible, je donne la parole aux acteurs du moment, qui ont réalisé et vécu le début de la première Communauté de travail.

Deux périodes dans mon exposé : la première, l’avant Combovin pendant les années où le jeune Marcel BARBU façonne son idée communautaire et la deuxième, pendant le séjour à Combovin, lorsque les compagnons rédigent la Règle communautaire et participent activement à la Résistance.

Avant Combovin :

Pendant Combovin :

Un homme, Marcel BARBU

Une inspiration, les Évangiles

Un ressort, la colère, la révolte

Un savoir-faire, bon bijoutier

Un contexte, la guerre

Pourquoi Combovin

La vie à la ferme

La résistance

La rédaction de la Règle communautaire

1944, années difficiles

 

Au départ de l’idée de la Communauté de travail Boimondau, il y a un homme : Marcel BARBU.

Quelques points de repère sur les vingt premières années de Marcel BARBU.

Marcel BARBU est né le 17 octobre 1907 à Nanterre.
Son père François, petit employé de bureau, sa mère Alphonsine, femme à la maison.
En 1914, son père part à la guerre, il y a trois enfants à la maison (Madeleine, sa grande sœur et Suzanne, sa petite sœur).
Sa mère, part, dit-on, infirmière à Menton, dans un hôpital pour soigner les blessés de guerre 14-18. Elle décède le 1er juin 1917.
Les enfants confiés à la Grand-mère maternelle, a des difficultés à élever ses trois petits-enfants. Pour subvenir à la famille, Marcel apprend à tendre la main, à aller aux distributions de secours. L’école passe après.

 

Marcel BARBU :

 Je dois avouer que j’étais bien inscrit à l’école communale, mais j’ai surtout fait l’école buissonnière, soit par goût, soit parce que l’on m’envoyait ramasser le crottin, on m’envoyait biner, parce que nous n’avions pas de quoi planter des pommes de terre.

[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

De retour de la guerre, le père de Marcel se remarie et se désintéresse des enfants de son premier mariage.

Les filles restent chez la Grand-mère et le garçon, Marcel, est placé à l’orphelinat catholique Notre-Dame De l’Assomption d’Élancourt (Yvelines) tenu par des religieuses.

Très bon élève, notamment en religion, où il fait du zèle, il est proposé pour le petit séminaire de Versailles qu’il quitte à l’âge de 17 ans.
Il ne veut plus devenir prêtre, il considère que les curés sont déconnectés de la société.

Il devient apprentis bijoutier à l’entreprise PERSON en région parisienne. Effectue son service militaire qu’il termine avec le grade de sergent. Mais avant la fin de son service, il se marie avec Pierrette.

Ce sont bien pendant ces 20 premières années que Marcel BARBU construit son idée de communauté.

Je vous propose de partager le résultat de mes recherches qui ont mené à la naissance de la Communauté.

Marcel BARBU ne se sépare jamais de son livre d’Évangiles.
C’est le point de départ d’une longue réflexion, nourrie par le message de Jésus, et de son expérience de pauvre dans la société.

Livre des Evangiles

À huit ans, Marcel BARBU reçoit un livre d’Évangiles du curé de la paroisse qu’il rencontre de temps en temps pour demander un « bon de soupe ». Il commence seulement à lire, il n’est pas très assidu à l’école.
Mais ce livre, qu’il lit et relit, lui donne le goût de la lecture, mais pas que.
C’est le premier livre qui est bien à lui et que personne dans la famille ne vient disputer.
Parce qu’un livre d’évangiles est un objet que l’on respecte ou craint, même par la famille BARBU qui est très éloignée de la religion.

Marcel BARBU :


Il s’est trouvé, que mon livre de chevet, comme les gosses ont maintenant Tintin et Milou, il s’est trouvé que c’était les évangiles. Si extraordinaire que cela pouvait paraître, le gosse que j’étais, avait trouvé savoureux, exaltant, la lecture de l’Évangile.

[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

[Le livre d'Évangiles ci-contre date de 1901] 

À huit ans, que retient un enfant qui se pose beaucoup de question : qu’un homme « Jésus » propose un autre chemin qui mène à un monde meilleur, « le paradis ».
Il retient que déjà, l’administration est tatillonne.

Qu’il est possible d’entrainer le peuple si l’on sait bien lui parler.
Marcel, pauvre parmi les pauvres, choisit son camp, être du côté de l’incompris, ceux qui souffrent, être parmi ceux qui disent « Je crois à ce que tu nous dis et proposes ».
Encore, à 58 ans, il dit : je pensais, dans ma tête de gamin, que si j’avais été là, Jésus ne serait pas mort !

Orphelinat catholique à Élancourt, puis le petit séminaire de Versailles ; à 17 ans, il décide que c’est parmi le peuple qu’il doit témoigner et agir.
Comme on le voit, Marcel BARBU tire ses idées des évangiles, il n’a pas accès à d’autres maitres à penser.
Karl MARX, Charles FOURIER, et bien d’autres, n’ont pas droit de citer dans la formation des prêtres.

C’est aussi jeune enfant que nait la révolte contre les biens pensants, les nantis, les bourgeois.
Encore une fois, je laisse parler Marcel BARBU :

… Cela m’a valu de savourer à l’extrême le comportement des dames d’œuvre, des gens bien, c’est un souvenir dont le résultat, je ne me suis pas encore remis, je peux dire que ma vie a déjà été imprégné de la colère monumentale que j’ai éprouvée et j’ai encore des souvenirs :

Je me rappelle très bien aussi vivant que si cela se passait actuellement, cette bonne dame accompagnée de son fils qui était à peu près de mon âge, une dizaine d’années, venant m’apporter des pantalons dans lesquels on aurait mis deux gars comme moi, et des godillots qui dépassaient d’un tiers mes pieds, le tout apporté avec cette componction de luxe, de discours religieux, n’est-ce pas, qui font qu’il sortait de tout cela que cette femme était en train de faire son salut, et avec mon mauvais esprit, je pensais qu’elle serait rudement embêtée s’il n’y avait pas de gars comme moi en me distribuant tout cela.

J’avais comme unique jouet un sabre de bois que m’avait fabriqué un grand du coin qui avait 14 ans, qui était apprenti ébéniste, c’est à Saint-Leu que cela se passait, qui m’avait fait un magnifique sable en bois avec une poignée entourée de ficelle, c’était quelque chose de magnifique, et immédiatement, a soulevé d’envies le petit garçon qui accompagnait la bonne dame qui apportait ses godillots, ses vieux pantalons, etc. et qui sauvait son âme. Alors le môme saute sur mon sabre et veut se barrer avec, l’occasion m’était donné de régler son compte, j’ai tapé sur le môme et j’aurais voulu taper sur la mère. Cela m’a valu une tripotée monumentale de ma grand-mère qui m’a fait mettre à genoux devant la dame et de demander pardon au môme. Elle m’a retiré mon sabre que j’avais récupéré sur le gosse et elle en fait généreusement don aux généreux donateurs.

D’autres moments de sa vie vont alimenter ses colères.
Son passage à l’orphelinat va nourrir encore sa révolte.

Il se trouve que, au retour de mon père de la guerre, il m’a mis finalement dans un orphelinat à Élancourt. Et là, je dois dire que j’ai trouvé le meilleur écrit sur une maison infanticide sur laquelle il y avait tout ce que vous ferez à un plus petit, c’est à moi que vous le ferez, et j’ai vu là-dedans qu’il y avait des gens qui auraient de drôles de comptes à rendre si la formule était appliquée. J’ai trouvé deux braves prêtres, excellent, dévoués à leur classe. Sur un effectif de 30 bonnes sœurs, j’en ai trouvé 2 ou 3 qui étaient des femmes dans toute l’exception du terme, des mères, et un certain nombre de garces et à elles toutes seules m’ont fait faire des expériences que me permet de dire que Buchenwald ne m’a rien appris de nouveau.

[Marcel BARBU a été déporté à Buchenwald en 1944]

Marcel BARBUPour le gosse de 12 ans que j’étais, les véritables tortures que j’ai vu subir par les enfants dans cette maison, je parle de tortures physiques. Et j’ajoute à cela que les tortures morales. J’ai un souvenir encore présent à l’esprit, comme si je le vivais : ayant chahuté quelque peu dans cette école, je vois encore la sœur supérieure m’appeler devant toutes les sœurs réunies et me dire : toi Marcel, tu n’as pas le droit de chahuter parce que ton père ne paie pas ta pension. C’était vrai, mon père ne payait pas la pension.
On n’est pas assez costaux à 12 ans pour régler ces comptes-là, mais je dois vous avouer que cela me pèse encore sur le cœur.

[Tous ces extraits viennent d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

[La carte postale jointe représente le déjeuner des enfants à l'orphelinat de l'Assomption, à Élancourt, au début de 20ᵉ siècle.

D'après le timbre, 5 c, semeuse, vert, émis en 1907, et retiré en 1920].

Ayant appris le métier de bijoutier monteur de montres, après le retour du service militaire et de son mariage avec Pierrette, il travaille chez plusieurs patrons, il se rapproche des syndicats ouvriers et finalement, il adhère à la CGT.

Des patrons qui lui promettent un bel avenir dans la profession, aux organisations syndicales, empêtraient dans leur idéologie, Marcel BARBU ne voit aucune issue pour ses copains qui l’entourent, il décide de se lancer dans l’entrepreneuriat.
Mais avec l’idée de faire autrement.

Marcel BARBU :Marcel BARBU
… C’est une bande d’andouilles [il parle de ses camardes d’usine], ils n’y comprennent rien, ils ont tout ce qu’il leur faut pour être heureux, mais ils n’y arrivent pas, le plus simple, c’est de leur faire une démonstration, parce que écrire un livre de plus sur la question, ne convaincra personne, donc on va faire une démonstration, on va chercher ensemble, à créer un petit univers dans lequel les hommes seraient des frères, et se partageraient loyalement, entre eux, les fruits d’un travail, d’autant plus fécond qu’ils l’exerceraient en commun, avec discipline.
Et je vois que cela a été le commencement, les premiers balbutiements de ce que cela a été, 10 ou 15 ans plus tard, la communauté de travail.


[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

[La photo ci-jointe représente Marcel BARBU à l'établi]

Par deux fois, Marcel BARBU choisit l’action dans la société.
À 17 ans, il quitte le séminaire, car il veut fonder une famille. Et à 20 ans, en choisissant de mettre son utopie, encore vague, au service de la classe ouvrière.

Marcel BARBU décide de créer sa première entreprise, en 1933, à Saint-Leu (nord de Paris), puis une deuxième entreprise à Besançon, en 1937.
Et à chaque fois, BARBU tente d’intéresser ses salariés à la gestion de l’entreprise.

Marcel BARBU :

Marcel BARBU
J’avais une usine de 80 ouvriers [à Besançon] avec lesquels je pratiquais la même politique qu’à Saint-Leu, tentatives de rapprochement, d’ouverture, de cogestion, de participation à la conduite de l’affaire, et je dois dire qu’après des mois et des mois de monologue, j’ai quand même réussi, petit à petit, à percer cette carapace qui m’isolait des gars qui travaillaient avec moi, et quand la débâcle est survenue [juin 1940],  j’étais arrivé déjà à un stade très avancé, très proche de la Communauté, mais qui s’intéressait aux travailleurs en tant que tel, aux professionnels travaillant dans l’usine. C’était donc une Communauté de professionnels travaillant dans une usine, ce qui nous a valu, du reste, l’hostilité absolue des syndicats patronaux et ouvriers, les gars qui travaillaient chez nous, gagnaient plus qu’ailleurs, on partageait ce qui était gagné entre tous, on fixait les salaires entre nous, on était déjà très loin de ce qu’a été Boimondau, mais on avait très avancé sur cette voie.

 

[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

Marcel BARBU, bon professionnel, a fabriqué le premier boitier de montre étanche français, qui lui donne une avance sur ses concurrents et des prix plus élevés.

Comment mieux souder un groupe qu’en les faisant travailler ensemble pour le bien commun ?
C’est ce qui s’est passé à Besançon en 1940 : Il y a ceux qui se « cavalent », emportant toutes leurs richesses, et Marcel BARBU, avec ses salariés, qui agissent sur place.

Marcel Barbu
Marcel BARBU :
… Je suis resté avec eux [les salariés de l’entreprise] et j’ai mis au tas tous les fonds dont je disposais. Je me suis trouvé par conséquence à la tête de, je dirais presque d’une armée, de 79 personnes, hommes et femmes bien sûr. Dès que les Allemands sont arrivés, la seule organisation qui subsistait à Besançon, la seule et unique, et organisée, qui existait à Besançon, c’était nous. Si bien que, c’est nous qui sommes allés sous les derniers coups de feu ramasser les blessés, ramasser les cadavres.
Les gens disaient « ne sortez pas, vous allez vous faire tuer », on a dit : on ne peut pas laisser des copains crever comme cela sur place. Alors, on est sorti et quand les gens ont vu que l’on ne s’est pas fait tuer, ils sont sortis aussi.


[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

Expulsé de Besançon en septembre 1940, il se retrouve à Valence et crée une nouvelle société : Boitiers de Montres du Dauphiné (à l’époque, le personnel travaillait chez Barbu, qui prendra le nom de Boimondau plus tard).

À Valence en 1941 : les propositions d’emplois sont peu nombreuses.
Marcel BARBU, galvanisé par le comportement de ses « gars » à Besançon, peut présenter clairement son projet.
Dès la première embauche en juin 1941, BARBU annonce ses intentions. Ce n’est pas seulement une entreprise de production qu’il veut faire, mais amener un groupe d’homme vers une autre Société. Tout n’est pas clair encore dans sa tête, mais il compte sur l’apport de ses nouveaux compagnons pour affiner sa vision de nouvelle société.
Il ne cherche pas de professionnels dans la micromécanique, à Valence, il n’y en a pas, mais des personnes de bonne volonté qui l’accompagneront et l’aideront dans ses initiatives.

Les idées révolutionnaires et le projet de nouvelle société de BARBU passe au-dessus de la tête de beaucoup de candidats à l’embauche, seule l’assurance d’un emploi, et bien payé, leur suffit à répondre favorablement à l’invitation, d’autant plus que BARBU promet un emploi stable à tout candidat de « bonne volonté », c’est-à-dire prêt à se former, à s’adapter et à le suivre.

1942 a été une année de formation. Par des réunions hebdomadaires, où toutes les questions sont abordées : informations sur la marche de l’entreprise et aussi sur le groupe (naissances, maladie, etc. Les compagnons participent à de nombreuses formations : un tiers des compagnons ont effectué une semaine de formation à l’école des cadres d’Uriage, pendant le deuxième semestre 1942. Temps payé comme heure de travail.

Développer l’appartenance à un groupe.
Les fêtes et les rassemblements familiaux sont nombreux, il existe une commission « Fêtes et Réunions » : Piquenique à Saint-Georges le 1ᵉʳ mai, c’est le premier rassemblement familial de toute la communauté, la fête des Mères, la Sainte-Catherine, la Saint-Éloi (patron des bijoutiers, des orfèvres), Noël, etc.
Toutes les occasions sont bonnes pour rassembler les familles.

Les actions de solidarité ne manquent pas. Par exemple :
Comme toute la population, les familles des compagnons n’ont plus assez de bois pour chauffer les maisons et il fait froid dans les ateliers, le ravitaillement devient difficile,  il faut réagir !
Les compagnons vont, pendant plusieurs jours, couper du bois à La Vacherie, et le ramener à Valence pour le répartir dans les familles.
C’est aussi le cas pour les pommes de terre.

Marcel BARBU à 35 ans, faisons le point !
Son expérience de vie l’a conduit à tester une autre forme d’entreprise, mais bien plus, une autre forme de société.
De ses jeunes années, il aurait pu vouloir tout casser de cette société qui l’a si longtemps écrasé, méprisé. D’ailleurs, il n’hésite pas à faire la comparaison avec un autre Marcel.

Marcel BARBU :

Élancourt, Marcel BARBU
Je dois moi, à Élancourt, d’avoir découvert malheureusement ce que je vous disais, mais aussi la suprême charité, et je crois que c’est à eux que je dois d’avoir évolué dans un sens différent de mon ami MERMOZ, qui du reste est un excellent homme, mais il s’est propulsé pendant toute sa vie par un désir de régler leurs comptes à ceux qui lui avaient fait la charité quand il était petit, désir dont je me suis débarrassé assez vite, parce que je suis parti dans un autre cheminement. Je cherchais surtout à leur ouvrir les yeux, en prouvant qu’il était possible de faire autrement qu’ils avaient fait à moi.


[Extraits d’un enregistrement de Marcel BARBU, datant de 1965]

Le parcours de Marcel MERMOZ, autre personnage de la communauté, est une autre histoire.

L’idée communautaire, empruntée à la religion, testée en grandeur réelle dans la société existante, est le fait du cheminement de Marcel BARBU.

Il a su s’enrichir de l’apport des compagnons qui ont cru en lui, et aussi de toutes les remarques, les freins, les problèmes, posés par « les savants de la société », qui le prenaient pour un farfelu.

La Communauté Marcel BARBU est officielle par l’adoption de la Règle, en quelque sorte, quand elle est « gravée dans le marbre ».
Et que les Compagnons, constatent, qu’à partir de ce jour, ils sont capables de vivre en Communauté.

Marcel BARBUMarcel BARBU, interné les deux derniers mois de 1942 à Fort-Barraux, j’y reviendrai, a mis ce temps à la réflexion.
Il en profite pour lire, ce qu’il n’a pas fait depuis longtemps, trop occupé par ses projets sociétaux et la famille.

Roger STÉPHANE, interné comme lui, écrit dès le lendemain de l’arrivée de Marcel BARBU qui se fait déjà remarquer :


Barbu, patron chrétien interné pour s'être opposé à la relève, se plonge dans les bouquins de sociologie : « Il faut bien remplacer ce qui s'effondre », dit-il.


[Roger STÉPHANE, Chaque homme est lié au monde, Grasset, octobre 2004]

 

La production continue à Valence, les compagnons ne baissent pas les bras, et poursuivent la fabrication et la vente de boites de montres.

De son retour de l’internement fin 1942, Marcel BARBU propose à ses compagnons de faire de l’année 1943, l’année pré-communautaire.

C’est-à-dire, écrire la Règle communautaire en la mettant immédiatement en pratique.
De plus, la zone sud de la France, administrée par le gouvernement de Vichy, est envahie par les allemands et les italiens le 11 novembre 1942, la Gestapo et la milice s’en donne à cœur joie, l’insécurité va croissante.
Il a une autre idée : acheter une ferme pour obtenir une autonomie alimentaire partielle, et ainsi, éloigner de Valence les hommes, et les soustraire à la milice et les obligations du STO.

BARBU connait peu de monde encore en Drôme (il n’a que deux ans de présence), il s’adresse au notaire de Chabeuil, qui lui propose une ferme à Combovin dont le propriétaire, le Père DIDIER, très fatigué, a laissé entendre qu’il se séparerait bien de ses terres : il ne voyait pas son fils, qui habite encore avec lui, prendre la suite.
En janvier 1943, c’est chose faite.

La période à Mourras sera présentée en trois chapitres :
Animation du plateau
Participation à la Résistance
Rédaction de la Règle communautaire

Les premiers compagnons de Marcel BARBU s’installent en février 1943 et vont, pendant un an, donner beaucoup de vie au plateau de Marquet.
Et à Valence, les activités continues.
En quelques mois, quelle organisation, que de changement à Mourras !

Les compagnons s’installent :
Combovin, Mourras, Marcel BARBUDe quelques compagnons au début, qui utilisent les locaux de la ferme, bien vite, par l’ajout de deux baraques Adrian, pouvant accueillir la famille BARBU et une bonne dizaine de compagnons. Les baraques servent de dortoirs, cantine, de salles de réunions et de formation…
Et l’équipement ne manque pas : tableau, bibliothèque, tourne-disque, radio…

Les baraques montées, il faut commencer les travaux des champs. La bonne volonté ne suffit pas. D’abord, on copie sur les voisins, le matériel du père DIDIER est vieux et pas en bon état.
Beaucoup de temps est passé dans les réparations.
Le travail est plus dur qu’en ateliers.

Texte du bulletin Le Lien, non signé
Au milieu des difficultés, notre ferme s’organise. En dépit de la température, malgré notre manque d’expérience, le blé et l’avoine sont ensemencés. Nous préparons le terrain pour l’orge, la pomme de terre, et les jours qui vont suivre seront des jours d’activité intense. La terre n’attend pas et il faut au plus vite labourer, ensemencer, si nous voulons récolter à l’automne. Chacun fait vaillamment sa tâche. Bien sûr, il y a des jours où le travail est dur, car le vent souffle un peu fort et nous n’avons pas d’outillage en bon état pour travailler ; pourtant il faut tout de même nous accrocher à l’ouvrage, essayer de nous adapter, de faire avec cœur ce labeur dont dépend la subsistance de la communauté toute entière.

Au travail compagnons ! Coude à coude, tous ensemble, nous triompherons des difficultés. Peu à peu, nous améliorerons notre logis, nous apprendrons à travailler, à dominer la nature, à la faire servir à nos besoins. Notre intérêt est là, mais aussi notre joie. La terre est une source de richesse. Il faut savoir les découvrir.
 

Le Lien N° 1, du 10 avril 1943 (pas signé)

Par temps difficile, des loisirs sont organisés, il ne faut pas laisser les compagnons dans l’oisiveté : lecture, jeux de ballon ou de boules, et cours de français, de math, etc.

La ferme se développe :
Le premier avril 1943, arrive Marcel MERMOZ, fils de paysan, il est tout de suite désigné « chef de la ferme de Mourras ».


Lancer la culture des champs, haricots, betteraves, pommes de terre… et de l’élevage, etc. Un plan est établi.
Creuser un puits, car le manque d’eau est cruel, pour les hommes et les animaux qui sont de plus en plus nombreux. Ce puits n’a pas dépassé les 4 mètres et demi, butant contre le rocher.

Texte du bulletin Le Lien, non signé
Le cheptel s’agrandit. Quatre petits chevreaux sont nés, une lapine a fait ses petits. Nous avons aussi acheté 51 moutons et trois petits cochons. Deux petits agneaux sont morts cette semaine : l’un pour avoir trop mangé de luzerne, l’autre probablement pour des troubles alimentaires.
Il faut garder les vaches et faire attention qu’elles ne mangent pas les blés qui ont du mal à pousser.

Le Lien N° 2, de mai 1942

Sans oublier, la construction d’un atelier pour fabriquer des boites de montres. En effet, l’usine de Valence est surveillée par les autorités allemandes et la production peut-être, du jour au lendemain, arrêtée.

Combovin, Boimondau, Marcel BARBUÀ la Communauté, la culture, les sports ne sont pas oubliés :
Des formations : musique, français, mathématique, sont organisées avec des professeurs venus de Valence.

 

Témoignage de Jeanne BOISSONNIER :


Les ouvriers travaillaient, ils avaient des conférences et des cours scolaires.
Papa attendait le mardi, jour des cours de math. Il demandait l’énoncé des problèmes qu’ils avaient à faire, il les faisait lui-même et attendait la correction le mardi suivant. Papa aimait faire les maths, il avait de bons résultats.

[Jeune voisine de la ferme de Mourras]


Pour améliorer les relations entre Valence et Combovin, les compagnons rédigent un bulletin : Le Lien numéro 1 date du 10 avril 1943. Tous les articles sont réalisés par les compagnons. Tous les sujets sont abordés.
Ce bulletin doit améliorer l’information entre les compagnons de Combovin et ceux restés à Valence, car au retour des compagnons des champs, bronzés, laisse penser qu’ils sont en vacances.

Le sport n’est pas oublié : un terrain multisport. Tous les dimanches matin, décrassage physique.

CombovinDes distractions sont nombreuses :
Vendredi 16 juillet 1943, soirée artistique par les Compagnons de la musique (qui deviendront les Compagnons de la chanson après la guerre).
Mise en place d’un orchestre, activités artistiques
Pour la fête du 15 août 1943, où toutes les familles se réunissent à Mourras illuminé, souvent les voisins sont invités à se joindre à la communauté.

 

[Photo ci-dessus : la promotion Mourras des Compagnons de la Musique]

La Communauté rencontre la population :
Les habitants de Combovin sont un peu bousculés. Rapidement les compagnons vont à leur rencontre, des réunions sont organisées qui permettent une meilleure compréhension entre les travailleurs de champs et les travailleurs des villes.

Le Conseil général approuve les actions avec les habitants de Combovin : gouvernement des paysans, conférences. Groupement des jeunes. Prise en mains des intérêts communaux. Aide aux paysans en vue de la résistance à l’oppression.

La veille du premier mai, les compagnons vont de ferme en ferme pour chanter les « Mai ».
Invitation des voisins aux soirées, aux formations, envoi de circulaires aux voisins pour proposer des coups de main, réparation de matériel.

Il est impossible que les habitants de Combovin n’aient pas senti un changement, surtout ceux du plateau. La population de Combovin est souvent sollicitée.

Ces nombreuses activités laissent peu de répit aux compagnons.
Du matin au soir, ils sont sur la brèche. Pas de répit.
Pour les membres du Conseil général ce sont de multiples réunions pour l’organisation de la ferme, pour étudier les articles de la Règle et prévoir leur mise en pratique.

Pour illustrer cette fatigue, je vous propose un poème de Robert BROZILLE : TOUT UN RÊVE
 

Et j’ai rêvé d’un drap bien blanc, bien doux et bien frais,
Car depuis des mois, je n’avais pour litière qu’un glacis froid ou une paille en miette.
C’était la guerre…
Et j’ai rêvé aussi d’un moment de solitude,
Un moment,
Cinq minutes.
Ce n’était pas possible car ils étaient là,
Les autres,
Autour de moi,
Qui cherchaient aussi,
Cette minute
Ce rien de temps,
Cette virgule qui, sur une portée de musique
Vous laisse le temps de respirer.
Mais non,
Pas même cette virgule,
Cette aspiration profonde dont on sent que vous claquerez si vous ne l’avez pas.
Alors, j’ai haï les autres hommes,
Mes frères, je les maudissais, car leur présence me rendait fou
Car je les sentais partout comme l’œil de Caïn.
Alors, j’ai voulu déserter les hommes,
Les fuir, car leur présence me faisait trop mal.
Et j’ai rêvé d’un bois…
D’un petit ruisseau…
D’une maisonnette…
Perdus loin des humains.


Le Lien N° 5, du 1er août 1943

La communauté déménage.
Combovin, ferme de Saint-RaymondLe 7 novembre 1943, tout le plateau de Mourras est recouvert d’une épaisse couche de neige.
Le vent du nord, froid, passe à travers les planches des baraques, rendant le chauffage impossible et le sommeil difficile.

 

[Ferme de Saint-Raymond, sous la neige, en février 1944]


Les résistants sont de plus en plus nombreux, et le plateau est de plus dangereux pour la population.
Il est décidé : de regrouper les hommes et les animaux dans la ferme de Saint-Raymond, proche de la source de la Véore et d’accès plus difficile.
La famille BARBU, avec les jeunes enfants, regagne Valence.
Quelques compagnons sont envoyés à Besançon.

L’année 1943, pleine d’espoirs, de travail, de rencontre et d’amitiés, se termine dans la crainte du lendemain.
Ils n’ont pas eu faim grâce à la production de la ferme, même, ils ont maintenu la production de boitiers de montres, ce qui fait qu’ils n’ont pas manqué d’argent. En appliquant la Règle qu’ils viennent d’adopter, nouveaux propriétaires collectifs de l’entreprise, l’avenir pourrait être radieux.

Mais c’est la guerre et le danger se rapproche.

Le 21 janvier 1944, un jeune est assassiné à Combovin, près du transformateur électrique par des soldats allemands. La peur s’installe dans la population. Le corps du jeune homme est enterré en catimini.
Qui entraine la démission du maire et du conseil municipal de Combovin le 25 janvier, qui ne peut assurer la sécurité de la population.

La communauté va organiser le sursaut en organisant, 1ᵉʳ février 1944, une cérémonie de à la mémoire du petit inconnu assassiné.

La présentation de la cérémonie par Gabriel MONNET, compagnon et témoin.


Au petit inconnu massacré lâchement
On avait fait bien vite un pauvre enterrement …
Ils s’étaient presque cachés comme une honteuse action …

Mais eux, les paysans, ne savaient pas …
Pouvaient-ils froidement juger de la situation ?
Le désarroi semé dans leur âme naïve,
Leur interdit toute initiative.
Il avait même fallu l’intervention de l’un d’entre eux,
Un peu plus homme celui-là, pour que l’on daigna, au moins,
Faire de correctes funérailles à ce pauvre gamin.
    C’était bien peu …
    C’était pas beau …
    Il fallait faire mieux …
Quand un quelqu’un de la famille a fait une bêtise,
On lui fait remarquer, puis, tous ensemble, on rachète la bêtise.
Alors, c’est du soulagement, de la fierté, de la joie pour tous.
Et tous furent d’accord, paysans, ouvriers, tous frères.
Pour qu’un service ait lieu à l’église commune du paternel village.
Il y aurait une messe pour le repos de l’âme de ce petit inconnu.
Une messe où ils viendraient tous,
Les gars de la communauté, les gars de la montagne,
Ceux du village et ceux des alentours.
Tous : catholiques, protestants, athées.
Tous : comme des Français,
Parce que le petit avait été massacré chez eux.
Et que la terre bien aimée avait bu de son sang.
Parce qu’il fallait une digne et grande réponse à la criminelle comédie.

Ce fut une rapide et féconde agitation !
Ceux de l’équipe « Fêtes et Réunions »,
Allèrent aménager la petite église,
Réglèrent le transport de tous,
Et le dispositif de la cérémonie.
L’équipe « Ravitaillement » organisait les repas communs.
Pendant ce temps, l’équipe « Catholique » étudiait le détail de la messe.
Il fallait de la force et de la dignité.
La chorale apprenait une émouvante messe des morts à quatre voix où c’était l’âme qui chantait.

Des tracts d’invitation étaient passés à tous ceux qu’on pouvait toucher.
Bref ! Encore une fois
La Communauté se pendait à la corde qui meut la lourde cloche du réveil des cœurs.

Le jour est arrivé avec des champs tout blancs de givre
Et un grand vent du nord.
La chorale, debout à l’arrière du camion, est partie la première afin de répéter encore une fois.
Les autres lui succédèrent.
À l’heure convenue, tout un peuple, simple et brave, se presse dans la petite église
Une église semblable à ces petites vieilles  de village qui savent dire tant et tant de choses
À qui sait les questionner.
Elle est toute simple, presque naïve avec ses murs blancs,
Qui doivent bien s’étonner de répercuter des voix si neuves.
Car la messe commence.
Ceux de l’équipe Catholique font crânement,
Réponse aux prières du prêtre.
Et les mots ne me viennent pas pour dire quel fut l’accent étrange et profond du « Kyrie Eleison » chanté par la chorale.
Voilà donc notre manière
De répondre à la guerre.
Les prières,
Vraies, pures, sincères…

Combovin, 1944, Après la messe, tout le monde se rend au cimetière,
Et se dispose en ordre,
Autour de la petite tombe
Très sobre.
Un petit môle de sable très propre.
Des fleurs, une croix, un drapeau…
Du silence et du recueillement tout autour,
Et le pâle soleil de février sur les visages émus.
… Alors monte au ciel un grave et sublime De profundis
Puis, comme surgis de cette atmosphère de grandeur,
Parle une voix qui cherche profond, tous les cœurs.
… Toujours des mots simples et vrais,
Ceux que Dieu mi dans la bouche des humbles.
Elle dit simplement ! « Finissons nos querelles
Et donnons-nous la main…
Ne pensons au présent, que pour bâtir demain ».

Et j’ai vu, de mes yeux, tomber les voiles de l’inimitié,
Et des frères se reconnaitre, parmi eux, un prêtre et un athée.
Des êtres séparés jusqu’ici par les murs d’orgueilleuses incompréhensions.
Fouler aux pieds de stupides préjugés.
Délaisser le stérile pour la fécondité.
… J’en ai vu de mes yeux, le bienheureux spectacle.
Ils ont mêlé leurs mains, porté la même gerbe, dessus la même tombe.
J’ai vu, amis, senti, palpé,
Une éternelle vérité.
J’en veux faire une belle prière…
Et l’emporter vers Dieu.


Gabriel MONNET, Le Lien N° 10 du 25 février 1944

Dans ce compte rendu rédigé peu de temps après l’évènement, on voit bien le rôle et la place que prend la Communauté dans le village de Combovin.
La Communauté de Marcel BARBU est incontournable dans la vie de la cité et depuis cette date de nouvelles coopérations vont se développer entre les paysans et les ouvriers.

La ferme de Mourras n’a pas vocation à être un maquis armé, mais Marcel BARBU choisit son camp. Ni lui, ni ses compagnons, ne porteront les armes pour donner des coups à l’ennemie.
La ferme est d’abord au service de la communauté naissance, pour la nourrir et la protéger.
Protéger les compagnons de toutes tracasseries des gendarmes qui les recherchent pour partir en Allemagne dans la cadre du STO, et aussi un lieu où les candidats au maquis, peuvent trouver refuge avant d’aller plus loin.

Vigilance :
CombovinÀ 500 mètres au-dessus de la ferme, il y a un beau point de vue sur toute la vallée de la Véore, et c’est là que les compagnons installent un point de garde. Cette garde est bien utile, car le 12 mai 1943, la communauté reçoit la visite des italiens, les hommes se réfugient dans les buissons. Seules quelques femmes sont restées au camp. Les soldats partis, un drap blanc est étendu par Pierrette BARBU, c’est le signal que les hommes peuvent revenir.
Quelque temps après, ce sont les gendarmes qui rendent visite à la communauté. Plus hésitants, ils se contenteront de ce qu’ils voient, sans tenter la fouille plus approfondie des habitations et des alentours.

 

CombovinEn juillet-août 1943, à la ferme Gambetta, à quelques kilomètres de la ferme communautaire, est créée la première école des cadres de la Résistance. La communauté est chargée de l’intendance, d’occuper les hommes après le temps de formation. Et c’est avec satisfaction que les compagnons participèrent au baptême de la promotion Jeanne d’Arc, le 30 août 1943.

À la Communauté, il est confié des armes restées cachées depuis fin 1942, pour être remise en état, graissées et redonnées à des groupes de résistants.

D’après les notes d’Antoine SCHRANTZ :


C’est un soir qu’une traction, avec un lourd chargement, arrive à la ferme. Marcel Barbu demande à Antoine SCHRANTZ, qui a passé plusieurs années dans la Légion Étrangère et qui connaît bien le fonctionnement des armes, s’il veut prendre en charge cette livraison en toute discrétion.
Le lendemain, pendant que les compagnons vaquent à leurs occupations, une calèche chargée d’armes, tirée par Ratou le vieux cheval de la ferme, est conduite dans un bois où une cabane est prête. Les armes sont déchargées et dissimulées promptement dans un fourré. Antoine, resté seul, passe la nuit à transporter les armes dans la cabane, les protège au mieux par des bâches et des branches.

Le rôle le plus important dans l’organisation de la Résistance est d’être un lieu ouvert, connu de beaucoup, où les candidats à la lutte armée, ou pour fuir ou se cacher, savent qu’ils peuvent venir, trouver le gite et le couvert, et toutes informations pour aller plus loin.

C’est le cas le jeudi 9 septembre 1943, trois italiens en rupture, arrivent vers 10 H du soir

Propos d’André GUÉRIN :


Hier, nous étions tout heureux d’entourer, de presser de questions, trois jeunes hommes fuyant vers leur pays.
Avant-hier encore, c’était des ennemis haïs et méprisés sur lesquels nous attirions tous les feux du ciel…
Aujourd’hui, ce sont des amis et sans arrière-pensée, nous leur donnons gîte et réconfort…
Hier, des coups de fusils, du sang, de la haine
Aujourd’hui, du pain, un abri, de la joie
Puis penchés sur la carte, nous les avons guidés pour fuir le tyran.


Le Lien N° 7 du 9 novembre 1943


Le 6 juin 1944, ce sont des personnalités de la Drôme qui désertent leurs postes.

Robert BROZILLE les accueille à Saint-Raymond :
 

Combovin, sacs de pommes de terreC’est le 6 juin, le nez dans la terre à biner les patates, nous avons vu sortir du bois en face de nous des gens qui viennent aussitôt nous demander à voir le patron. Mermoz les a reçus… et c’est ainsi que nous avons appris le débarquement allié et que nos visiteurs, responsables de la Mairie et de la Préfecture, venaient nous rejoindre au maquis. C’est à partir de ce jour que nous avons vu des centaines de gars monter au plateau et occuper Combovin.

Parmi le groupe se trouvent : Sous-préfet de Nyons Majoureau, le Directeur de la police Krieger, le chef de cabinet du Préfet de la Drôme, du Commissaire de Police Mourguis et l'inspecteur académique et quelques responsables de l’administration qui ont abandonné les voitures par crainte d’être repérés.

J’en resterai là sur le rôle et la place de la Communauté dans la Résistance, je vous dirai pourquoi à la fin.

Si la présence des compagnons de Marcel BARBU est souvent rattachée à la Résistance, c’est l’écriture de la première Règle communautaire, et les suites et les pratiques qui ont été réalisés, qui fait que, encore aujourd’hui, des universitaires et chercheurs de tous horizons, s’intéressent à l’expérience Boimondau.

La rédaction de la Règle en 1943 est le long processus commencé dans l’entreprise dès 1942.
Cette année-là, à Valence, est mis en place les réunions de contact chaque semaine, ou la vie de l’entreprise et de ceux qui en vivent est partagée.
Il y a les formations. Progressivement, sur 48 Heures de travail, 9 sont dégagées pour des formations : français, arithmétique, géographie, culture sociale, culture physique.

La Règle communautaire, est comme la source de la Véore à Combovin, et doit irriguer la vie d’une centaine de familles à Valence, mais bien plus, par les promesses qu’elle porte, multiplier les expériences sans frontières.

Rédaction de la Règle.
Tous les compagnons ne participent pas, au jour le jour, à la réflexion et la rédaction de la Règle.

C’est d’abord Marcel BARBU, qui traduit en projet toutes les idées, qui tournent et retournent dans sa tête depuis son enfance, bonifiées avec ses dernières lectures et ses échanges avec Marcel MERMOZ qu’il a connu en prison. Il ne faut pas s’étonner de retrouver de nombreuses références à la religion.

Chaque semaine, les écrits sont présentés au Conseil Général qui apporte critiques et propositions.

Et c’est lors de ces échanges, en 1943, qu’est né le « salaire à la valeur humaine ». En quelques mots : au salaire professionnel et rajouté un coefficient social qui correspond à l’engagement du compagnon dans la communauté, dans la société.
Sitôt dit, sitôt adopté et mise en place pour être testé. Toujours vérifier par la pratique les choix communautaires.
Conseil général du 16 juillet 1943

Que contient la Règle

La Communauté de base, comme celle de Marcel BARBU, ne peut exister durablement que si elle évolue dans une Société communautaire. C’est pour cela que la Règle communautaire commence par définir ce que peut être « un ordre national communautaire ». De la commune (ou du quartier) au sommet de l’État.

Il ne faut pas oublier, que la réflexion engagée ne peut se soustraire, que nous sommes en période de guerre, que personne ne voit le bout, mais tous savent qu’elle aura une fin.
Dans cette société en déliquescence où tout est à rebâtir, les Compagnons ont toute liberté pour construire quelque chose à leur image, puisque la société est bien incapable de proposer un projet accepté par tous les habitants.
Après la guerre, les compagnons seront les premiers à proposer une alternative au capitalisme.

Dans ce vaste territoire, la Communauté nationale, Boimondau, n’est qu’une petite graine plantée LÀ.

En commençant par brosser l’organisation de la Communauté nationale, Marcel BARBU propose un horizon, un rêve, une utopie atteignable, et ainsi mobilise chaque compagnon.

Avant d’en arriver là, la Règle part de la communauté la plus petite, naturelle, existant depuis toujours : LA FAMMILLE. Et c’est bien en rassemblant plusieurs familles que se crée la Communauté de travail.

La création d’une communauté doit être précédée d’une période d’échanges, de connaissance les uns et les autres, de nombreuses rencontres des familles.
Et quand tous les membres, limités à cent familles, travaillant dans une même entreprise, sont prêts, alors ILS CONSTATENT QU’ILS PEUVENT FORMER UNE COMMUNAUTÉ.

La communauté se désigne par la raison sociale et par le chef de la communauté. Au premier janvier, la communauté de Valence prend officiellement le nom de Boitiers de Montres du Dauphiné, communauté Marcel BARBU. [Page 21]

La Communauté Marcel BARBU adopte une morale minimum commune, qui se veut être le minimum que chacun doit respecter, mais en fait comprend, sur dix pages, des engagements précis.

Deux points importants :
« Nous acceptons toutes les tendances spirituelles, mais nous exigeons que chacun ait une opinion choisie et qu’il se cultive dans ses choix ». [Page 34]
Ce qui veut dire, que les Moux, les tièdes, les « ne sais pas », n’ont pas leur place dans la Communauté.

Et le minimum commun se résume [Page 34] :


Tu aimeras ton prochain,Combovin, Règle communautaire
Tu ne tueras pas,
Tu ne prendras pas le bien de ton prochain,    
Tu ne mentiras pas,
Tu seras fidèle à la promesse faite,
Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front,
Tu respecteras ton prochain comme toi-même,
Tu lutteras contre tous les vices qui diminuent l’homme, contre toutes les passions qui maintiennent l’homme en esclavage, entravant la vie sociale : orgueil, avarice, luxure, envie, gourmandise, colère, paresse,
Tu maintiendras qu’il est des biens supérieurs à la vie même : la liberté, la dignité humaine, la vérité, la justice.


Remarquons que les trois références précédentes sont issues des principes évangéliques.
Ce qui confirme les racines de la communauté de travail Marcel BARBU

Le quatrième chapitre, c’est la définition et la position de chaque membre de la communauté.
Le chapitre suivant, c’est sur l’organisation de la communauté, définie par deux voies, le travail professionnel et l’animation de la communauté. Dans l’entreprise et en dehors.

Et enfin, les rémunérations. La communauté introduit le salaire à la valeur humaine. Au salaire professionnel et ajouté un salaire social. Sur ce point, beaucoup d’écrits étudieront les limites d’un tel système.

L’année 1943 fut intense en évènements.
La dernière Assemblée générale qui clôt l’année approuve la Règle communautaire, qui est contenue dans 112 pages.

L’adoption de la Règle à la dernière Assemblée Générale vient clore une année d’aventure à laquelle les ouvriers de Valence n’étaient pas préparés.
Passé la Saint-Éloi et les fête de fin d’année, c’est à la ferme de Saint-Raymond, que les compagnons doivent trouver l’énergie de continuer la pratique communautaire tout en parvenant à produire ce qui doit les faire vivre ou survivre.
Un difficile équilibre entre le travail agricole et le travail social dans cette guerre de toutes incertitudes.

Les nouvelles ne sont pas bonnes à Valence : mise à sac de l’entreprise, la production est répartie dans différents lieux de la ville, tenus secrets.

Incendie de la maison Barbu, car lui-même, recherché, est menacé. Avec lui, quelques compagnons vont se cacher à Paris, ce qui n’empêche pas leur arrestation et leur déportation.

À Saint-Raymond, les liens se resservent avec les maquis : échange d’informations, aide pour transporter des armes arrivées par un parachutage ou de la nourriture ; aide aux blessés, et toujours accueillir ceux qui fuient, ceux qui ont peur.

Rester proche de la population de Combovin et la soutenir lors des incursions de l’ennemie comme lors du bombardement du 22 juin 1944.

Et c’est la libération.
Faut-il participer à la grande manifestation de libération à Valence ? Oui, la communauté défilera, la tête haute, fière du travail accompli, de l’avenir communautaire qui ne fait plus de doute.

En attendant que le chef revienne de Buchenwald, il faut continuer à y croire.

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